Ach ! Die computerspiele, gross malheur !
Par Shane Fenton • le 1/12/2007 • Entre nous •Il y a quelques jours, la GWG (pour Gesellschaft für wissenschaftliche Gesprächspsychotherapie, ou Société pour la psychothérapie scientifique), une importante fédération allemande de psychothérapeutes, a publié lors d’une réunion à Cologne un communiqué (en Allemand) appelant à l’interdiction des « jeux de tueurs ». Selon Mme Elke Ostbomk-Fischer de la GWG, les jeux violents sont les « mines anti-personnel de l’âme« . L’affaire a déjà fait beaucoup de bruit en Allemagne, entre autres parmi la presse vidéoludique locale (par exemple ici et là). Mais pour l’instant, il n’y a qu’un seul lien en français (reprise d’une dépêche AFP) et un en anglais (repris par GamePolitics). Ils nous permettent au moins de comprendre l’essentiel. En gros, l’interdiction totale de ces « killergames » est le seul moyen de « maintenir le consensus fondamental d’une société humaine », et les responsables politiques doivent agir « avant qu’une génération entière d’enfants et de jeunes ne soit prise dans le tourbillon de la violence ».
Comment le jeu vidéo est perçu en Allemagne : petit panorama
Deux ou trois petits rappels. En Allemagne, les jeux vidéo n’ont pas très bonne presse, c’est le moins qu’on puisse dire. De nombreux jeux ont été frappés par la censure : soit ils ont été bannis (de Mortal Kombat à Manhunt en passant par Commandos : Derrière les lignes ennemies), soit ils ont dû être reprogrammés pour ne pas l’être (de Command & Conquer à Half-Life et Counter-Strike, en passant par Carmaggedon), soit ils ne sont pas sortis parce que la commission de classification a refusé de les labelliser (Gears of War et Dead Rising). Là-bas, l’une des expressions les plus utilisées pour parler des FPS est « jeux de tueurs » (« killergames » ou « killerspiele » en VO). Les school shootings d’Erfurt en 2002 (17 morts dont le tueur, et 7 blessés), puis d’Emsdetten en 2006 (37 blessés, et le tireur s’est suicidé), ont considérablement renforcé cette perception quand on a découvert que les auteurs des fusillades, entre autres choses, jouaient à Counter-Strike. Des sondages réalisés sur place ont indiqué que 72% des Allemands liaient la fusillade d’Emsdetten à ce genre de jeux, et que 59% d’entre eux voulaient les voir interdits.
En ce qui concerne la manière dont les développeurs et éditeurs de jeux vidéo sont perçus là-bas, on n’a qu’à voir ce qui se passe avec Crytek (Far Cry, Crysis…) qui a des studios en Allemagne. En particulier, le récent témoignage de Tim Partlett, qui travaille pour eux sur place, est éloquent : « en Allemagne, quand je dis au gens ce que je fais pour gagner ma vie, ils ont tendance à réagir avec un mélange de pitié et de dégoût, comme si je leur avouais que je me prostituais. J’ai appris à éviter le sujet, et je donne une réponse vague, comme ‘développeur de logiciels’, parce que ça me cause moins de problèmes ». En 2004, à cause d’une simple accusation de possession de logiciels pirates, Crytek a carrément subi un assaut des forces de polices allemandes (incluant la police anti-émeutes). Et cette année, lors de la Game Developpers Conference qui s’est déroulée à Leipzig, le fondateur de la boîte a envisagé de quitter l’Allemagne à cause de l’hostilité publique et surtout politique envers les jeux vidéo.
Du côté des médias, on doit à la télé généraliste teutonne un certain nombre de reportages et de documentaires particulièrement racoleurs. En particulier les affligeants Jeux vidéo : du joystick à la gâchette et aussi Jeux vidéo : attention danger ! diffusés sur Arte respectivement en 2000 (dans le cadre de la soirée Faut-il avoir peur des jeux vidéo ?) et en 2002. Plus récemment, un journal télévisé du coin avait qualifié GTA : San Andreas de « simulateur de viol », et n’hésitait pas à dire que dans le jeu, il fallait violer le plus de filles pour gagner. Un autre extrait de JT parlait de « jeu de tueurs » en montrant une scène cinématique d’un jeu de la série… Final Fantasy.
Du côté des politiques, certains d’entre eux mènent campagne depuis des années pour interdire les « jeux de tueurs » aussi bien aux enfants qu’aux adultes. Parmi les plus acharnés, on trouve les Bavarois de la CSU (centre droit) Edmund Stoiber, ancien « ministre-président » de Bavière, et surtout Gunther Beckstein, ancien ministre de l’Intérieur puis successeur de Stoiber au poste de « ministre-président ». Leur proposition de loi est disponible ici (en Allemand). Elle a été traduite en anglais par un membre du forum de Gamepolitics. La logique des partisans d’une interdiction totale des « jeux violents » est imparable : comme l’a expliqué le Major Andreas Fess, de la police criminelle teutonne, « quand vous acceptez que ces jeux soient achetés par des adultes, les enfants peuvent eux aussi jouer à ces jeux, et nous ne voulons pas qu’ils y jouent. Donc nous devons aussi les interdire pour les adultes ». Mais Beckstein a trouvé encore plus fort : l’an dernier, au lendemain d’Emsdetten, il a carrément proposé la prison pour les créateurs, les distributeurs et les joueurs de « jeux violents », n’hésitant pas à comparer ces jeux à de la « pornographie infantile ».
Et pour finir ce tour d’horizon, il semblerait que l’Allemagne réserve un accueil chaleureux à Dave Grossman, Lieutenant-Colonel à la retraite de l’Armée Américaine, psychologue, historien, et surtout auteur de la théorie selon laquelle les « jeux violents », notamment les FPS, sont des « simulateurs de meurtre ». Selon lui, ces jeux apprennent aux enfants à tuer de la même manière que l’armée conditionne ses soldats pour qu’ils tuent sans remords. D’ailleurs, selon certains partisans de la « théorie grossmanienne », l’armée utiliserait des FPS pour « désensibiliser les soldats à la violence », et selon d’autres, les FPS étaient à l’origine inventés pour ça et utilisés exclusivement par l’armée, avant qu’ils se retrouvent aux mains des civils. Dave Grossman méritant un, et même plusieurs articles, on ne s’étendra pas trop sur lui ni sur sa théorie (bon, allez, une petite réfutation bien cinglante pour la route). Il faut juste retenir que Grossman est assez populaire en allemagne pour que deux de ses livres On Killing (1995) et Stop Teaching Our Kids to Kill (1999, co-écrit avec Gloria DeGaetano) soient traduits dans la langue de Goethe. Et il faut surtout retenir que les psychothérapeutes de la GWG ont complètement reprise à leur compte l’interprétation la plus sectaire de sa théorie (pour savoir qui la leur a soufflée, voir plus bas).
Il est vrai, toutefois, que je n’ai pris que quelques exemples alarmistes. A vrai dire, je ne prétends pas tout savoir sur la perception exacte du jeu vidéo en Allemagne. Peut-être après tout qu’il n’y a pas que des mauvaises nouvelles. Cela dit, quand une fédération de psychothérapeutes aussi importante appelle à l’interdiction totale de certains jeux en des termes aussi violents, il y a vraiment de quoi flipper. Je me permettrais toutefois quelques petites remarques. La première : l’Allemagne est l’un des pays d’Europe les plus restrictifs en terme de législation sur les « jeux violents », et pourtant c’est en Allemagne que deux school shootings ont eu lieu, cas rare en Europe. La seconde : le porno allemand est réputé depuis longtemps pour être « le plus crade, le plus macho » (dixit le réalisateur de porno français John B. Root) et le plus glauque, avec de nombreuses boîtes spécialisées dans les gangbangs, les « douches de sperme », et même l’urologie. Soit un contenu beaucoup, beaucoup plus hardcore que les « jeux de tueurs » dont on réclame l’interdiction. Sauf que ce porno « hard-crade », lui, n’est pas interdit.
Pourquoi tant de haine… ou plutôt à cause de qui ?
Et maintenant, une devinette : pourquoi les psychothérapeutes de la GWG ont réclamé l’interdiction de ces jeux maintenant ? A cause d’un fait divers sanglant ? D’un autre school shooting ? D’une loi en préparation sur le sujet ? Non. Le prétexte officiel, c’est l’imminence des fêtes de Noël. Eh oui, comme nos bons docteurs ont tellement peur que des parents mal informés achètent des « jeux de tueurs » à leurs enfants, ils préfèrent les voir totalement interdits, même pour les adultes. Comme ça, on est sûrs que les parents ne prendront pas de mauvaises décisions : ils n’en prendront aucune, nos bons docteurs l’auront prise à leur place.
Mais il y a une autre raison à ce communiqué de presse…
En effet, l’Allemagne est aussi la patrie d’Helga Zepp-LaRouche, femme de l’ultracontroversé Lyndon LaRouche, présidente du « think tank » Schiller Institute et du parti politique allemand Bürgerrechtsbewegung Solidarität (BüSo), tous deux affiliés à son mari. Malgré l’intitulé du BüSo, qui se traduit littéralement par « Mouvements des Droits Civiques-Solidarité », il n’a rien à voir avec un quelconque mouvement des droits civiques au sens « classique » : on n’a pas affaire à des émules de Martin Luther King. Ce n’est que l’antenne allemande du mouvement (ou plutôt la secte) de Lyndon LaRouche, de même que Solidarité et Progrès, le groupuscule de Jacques Cheminade, en est l’antenne française. En plus de ce conglomérat de partis politiques, LaRouche dispose de sa propre organisation de jeunesse, le LaRouche Youth Movement (LYM), présent dans plusieurs pays, dont l’Allemagne.
Pourquoi je vous en parle ? Tout d’abord parce que cette organisation est violemment opposée au jeux vidéo. Leurs prises de position et leur activisme méritent un post à part. Ce qu’il faut retenir pour l’instant, c’est qu’en 2000 et 2002, Helga Zepp-LaRouche s’est d’ailleurs particulièrement impliquée sur la question, en appelant notamment à une « guerre » contre l’industrie du divertissement, et à une interdiction internationale des « jeux violents ». Ce n’est pas pour rien qu’ils ont repris (en l’interprétant à leur sauce) l’argumentaire de Dave Grossman et qu’ils l’ont interviewé à plusieurs reprises. Et compte tenu de la mauvaise image des jeux vidéo auprès de plusieurs médias et politiques en Allemagne, ce n’est pas un hasard si les attaques des « LaRouchistes » ont plus de succès dans ce pays qu’ailleurs. Mais il y a mieux…
Il n’aura échappé à personne que le ton employé par les psychothérapeutes de la GWG dans leur communiqué de presse était particulièrement violent. Quand on s’est déjà coltiné quelques « contributions » des LaRouchistes (voir au-dessus), on est frappé par la ressemblance entre les deux. Même outrance verbale, mêmes accusations hallucinées (et hallucinantes), mêmes pseudo-« arguments »… Et pour cause : ce sont les LaRouchistes qui ont inspiré ce communiqué de presse ! En effet, selon leurs propres dires, « le LYM allemand était intervenu en début de semaine au congrès de la GwG à Berlin, en soulevant la polémique contre la programmation de jeunes pour les tourner en véritables soldats-kamikazes ». Du coup, ils n’ont pas eu beaucoup de difficultés à fournir une traduction anglaise de ce communiqué. Quand on connaît le caractère sectaire des organisations LaRouchistes, il y a de quoi s’inquiéter du fait que leurs délires aient été relayés, parfois mot pour mot, par une importante fédération de personnes censées être des « scientifiques ».
Il ne s’agit pas ici de discréditer toute critique des « jeux violents », ni de disqualifier a priori les prises de position de la GWG sur le sujet. Il s’agit juste de constater que même un scientifique est prêt à croire le premier venu, du moment que celui-ci présente bien la chose et se revendique d’une noble cause (ici, la « protection de l’enfance »). Mais après tout, ce mélange d’ignorance et de crédulité publique ne concerne pas que les jeux vidéo : Thierry Meyssan, ça ne vous rappelle rien ?
Post-scriptum
Finalement, le communiqué de presse de la GWG a été traduit en français par Zeit-Fragen. Ce journal suisse germanophone, proche de la gauche radicale et altermondialiste, a également une édition française (Horizons et Débats) et anglaise (Current Concerns, qui contient une version anglaise du communiqué). Les réfractaires à la langue de Goethe pourront donc se repaître d’articles écrits par des psychologues et sociologues allemands sur les « jeux violents ». Je conseille en particulier les contributions de Rudolf « Rudi » Hänsel, de Renate Hänsel, de Maria Mies et d’Elke Ostbomk-Fischer. Elles permettent de se rendre compte du niveau d’hystérisation du débat outre-Rhin.
Tags: Allemagne, beckstein, Emsdetten, Erfurt, Grossman, gwg, interdiction, jeux de tueurs, jeux violents, killergames, killerspiele, LaRouche, Ostbomk-Fischer, violenceShane Fenton est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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la frontiere entre la democratie et la dictature est minuscule…… moi c’est franchement le genre de truc qui me fait peur, ont fait passer ses idées sous couvert de la protection de l’autre……. (c’est ce qui se passe dans une dictature: on impose un couvre feu pour VOTRE protection, on vous interdit de lire certains livre pour vous proteger aussi…….etc….) Pour en revenir plus specifiquement a l ‘allemagne, j’ai tout comme vous immediatement pensé a leur industrie du x…. (plus precisement à la boite de prod GGG créé par John Thompson, a base de gang bang, douche, fist, et je vous epargne les details) la violence y est inimaginable, la femme est vraiment releguer au rang d’objet, je dirais meme de trainée!!! pour vous dire moi qui suis relativement amateur de film x plus classique je ne conçoit pas que l’on puisse porter un interet quelquonque à ces productions, pour moi il ne faut pas etre « normal » pour trouver de l’interet dans ces films…….. et dieu sait que je suis porter a fond sur le cul :)
mais comme vous dites, la cela ne derange pas……. pourtant l’argument d’interdire aux adultes pour proteger les gosses, est valable pour le porno aussi……….. pour le cinema………. pour la lecture………… pour tout en fait…… et la raison en est simple, c’est que cet argument est extremiste et non ciblé, plutot que de s’attaquer au probleme, on le fait disparaitre……. je vais me permettre d’etre un peu sarcastique, mais c’est à croire que l’histoire n’as pas su donner de leçon…..
« j’ai tout comme vous immediatement pensé a leur industrie du x…. (plus precisement à la boite de prod GGG créé par John Thompson, a base de gang bang, douche, fist, et je vous epargne les details) »
Coïncidence amusante : le nom véritable de l’avocat anti-jeux Jack Thompson est… John Thompson. John Bruce Thompson pour être plus précis (en fait, aux Etats-Unis, « Jack » est utilisé comme diminutif de « John », de même que « Jim » est le diminutif de « James »).
Elke Ostbomk-Fischer, à qui on doit l’expression « mines antipersonnel de l’âme » pour les « jeux de tueurs », a présenté son argumentaire de manière détaillée dans le numéro de janvier de Gesprächspsychotherapie und Personzentrierte Beratung, le magazine de la GWG. Une traduction française vient d’être publiée cette semaine dans Horizons et Débats.
Il s’agit en fait de la version étendue du communiqué de presse de la GWG, traduit en français dans le même journal (voir post-scriptum de l’article, que je viens de mettre à jour).