GamePolitics change de mains
Par Shane Fenton • le 14/9/2009 • Entre nous •Dennis McCauley, fondateur et principal rédacteur du blog GamePolitics, vient de nous apprendre ce matin qu’il nous quittait. Après plus de 4 ans d’existence, il a décidé de passer à autre chose. GamePolitics lui-même continuera de tourner, mais avec un nouveau rédacteur en chef. Reste à savoir ce que cela va changer, non seulement pour le site, mais également pour le traitement médiatique du jeu vidéo.
Quand GamePolitics a commencé son activité en mars 2005 sur LiveJournal, la situation n’était pas brillante sur ce plan-là. Pour commencer, une fusillade de type school shooting venait tout juste d’avoir lieu dans la réserve indienne de Red Lake (située dans le Minnesota), et devinez sur le dos de qui on cassait du sucre, malgré le fait que le tueur était néo-nazi, dépressif, et issu d’une famille complètement bousillée (père suicidé, mère alcoolique, et j’en passe…) ? Pas la peine de donner la réponse, il vous suffit de consulter les archives de 2005 pour comprendre. Ensuite, les projets de loi visant à restreindre la vente de « jeux violents » aux mineurs commençaient à proliférer dans de nombreux Etats américains (d’ailleurs, l’un des objectifs initiaux de GamePolitics était de faire une cartographie de la législation sur les jeux vidéo). Enfin, Jack Thompson était toujours un interlocuteur régulier des médias généralistes, malgré ses outrances.
Il semble que « l’affaire Hot Coffee« , qui a éclaté peu de temps après la fondation du site, ait grandement contribué à la réputation de celui-ci. D’une part parce que GamePolitics a été l’un des sites à révéler que le mod Hot Coffee était conçu à base de scènes de sexes cachées dans le code de GTA: San Andreas, donc que ces scènes étaient l’oeuvre de Rockstar Games, développeur du jeu. Et d’autre part parce que ces révélations ont déclenché un scandale politico-médiatique d’une ampleur considérable : que l’industrie du jeu vidéo vende sciemment des « jeux violents » aux mineurs, c’était une chose, mais qu’en plus elle leur refourgue du sexe en catimini, c’était jeter de l’huile, voire des jerricans d’essence, sur le feu. En tout cas, ce scandale a considérablement profité aux partisans d’une législation sur les « jeux violents »… et par ricochet à GamePolitics, qui s’était donné pour mission de couvrir leurs agissements. Le site a donc gagné de plus en plus de lecteurs, et en a profité pour parler de tous les sujets liés au traitement politique, médiatique et même scientifique, du jeu vidéo, non seulement aux Etats-Unis, mais aussi dans le Monde. Un homme politique prenait une initiative en rapport avec le jeu vidéo ? Cette initiative était couverte, entre autres, par GamePolitics. Un journaliste, éditorialiste ou bloggueur se mettait à parler de jeux vidéo dans son dernier article ou bloc-notes ? C’était relaté, entre autres, dans GamePolitics. Et quand une équipe scientifique publiait le résultat d’une étude scientifique sur tel ou tel aspect des jeux vidéo, c’était également dans GamePolitics. Sans oublier la réactivité de ses lecteurs, non seulement pour l’alimentation du site, mais aussi pour leur capacité (commune aux lecteurs de nombreux sites spécialisés) à réagir en masse dès qu’ils estimaient qu’un article cité égratignait leur loisir.
Certes, GamePolitics n’était pas exempt de défauts. Par exemple, en tant que site maintenu essentiellement par une personne, il n’était pas omniscient. Et en ce qui concerne l’international en particulier, il dépendait grandement des contributions de ses lecteurs, ce qui augmentait le risque de répandre des informations erronnées. J’en sais quelque chose : en tant que lecteur régulier (sous le pseudonyme de « Soldat_Louis ») et « fournisseur » occasionnel de news relatives à la France, à l’Allemagne, ou à la bande à Lyndon LaRouche et Jacques Cheminade quand celle-ci ramenait sa fraise sur les jeux vidéo, il m’est arrivé, malheureusement, de contribuer à propager de fausses informations, notamment sur la fillette d’Uckange soit-disant poignardée par son frère pour une Nintendo DS. De plus, il était parfois gênant de voir des critiques légitimes contre la violence de certains jeux réduites à des diatribes « anti-jeux vidéo ». Et il était encore plus gênant de voir leurs auteurs se faire lyncher par une horde de gamers en colère, comme quoi la réactivité n’a pas que du bon (cela dit, est-ce qu’un site est forcément le gardien de ses lecteurs ? J’en doute). Cependant, malgré ses quelques défauts, GamePolitics restait une source d’information fiable et de grande qualité sur la manière dont le jeu vidéo était perçu « de l’extérieur » (et aussi « de l’intérieur »), d’autant que c’était l’un des rares sites dédiés à ce sujet, et que même « de l’extérieur » il avait un certain crédit. J’ajouterai, pour en finir avec la brosse à reluire, qu’à mon avis ce site a eu une influence, certes très légère mais positive, sur le traitement médiatique du jeu vidéo, ne serait-ce que pour avoir contribué dans son coin à démasquer Jack Thompson.
Pourquoi est-ce que j’en parle au passé ? Après tout, GamePolitics n’est pas mort : il va juste changer de rédacteur. Simplement, je suis assez anxieux quant à son évolution. Il y a de quoi l’améliorer, mais il y a aussi un risque de le « kikoololiser » sous prétexte d’augmenter son lectorat, ou de le faire se noyer dans la masse des autres sites « spécialisés généralistes » comme Kotaku. Par conséquent, je me pose une multitude de questions. Est-ce que ce site restera dans le créneau qui a fait son originalité ? Sera-t-il mis à jour aussi régulièrement ? Est-ce que l’information restera à la fois abondante et fiable ? Sera-t-elle traitée avec la rigueur et l’objectivité qu’elle mérite ? Nous verrons bien. J’espère au moins qu’il restera le GamePolitics que j’ai appris à apprécier au point d’en faire ma principale source d’informations. S’il disparaissait ou s’il perdait son identité, ce serait une catastrophe, et pas seulement pour les joueurs.
En attendant, je ne peux que souhaiter bonne chance à Dennis McCauley pour ses futurs projets, mais aussi au nouveau « repreneur » de GamePolitics.
Tags: Gamepolitics, Jack Thompson, jeux violents, legislationShane Fenton est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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