On jouait déjà avant ta naissance, donc on a raison

Interview: Laurent Bègue, professeur de psychologie sociale

Par • le 23/8/2012 • Entre nous

« Connaissez-vous Laurent Bègue ? » (de son état, professeur de psychologie sociale à l’université de Grenoble, membre de l’institut universitaire de France, diplômé d’alcoologie, et auteur de livres comme L’agression humaine et Psychologie du bien et du mal). Si j’avais posé la question il y a seulement 2 ans, je ne pense pas que j’aurais reçu une majorité de réponses positives. Il est vrai qu’il avait déjà un peu écrit sur le sujet de la violence vidéoludique, mais visiblement, ce n’était pas suffisant pour attirer l’attention (une autre hypothèse est que Cerveau & Psycho est peu lu des joueurs). Les choses ont changé en décembre dernier, avec son étude sur les « vilaines pensées » provoquées par les jeux violents. Cette étude, co-écrite avec Youssef Hasan et Brad Bushman (l’un des piliers, avec Craig Anderson et Douglas Gentile, de la recherche sur les effets de la violence vidéoludique) et parue dans le Journal of Experimental Social Psychology, a bénéficié d’une couverture médiatique raisonnable (Le Dauphiné Libéré, entre autres), et surtout, elle a donné l’occasion à Laurent Bègue de présenter et de défendre ses arguments sur la place publique. Un passage sur les blogs du Nouvel Observateur lui a permis de croiser le fer avec la psychologue clinicienne Vanessa Lalo. Mais c’est un article plus récent, publié dans Rue89 (et faisant suite à un autre article de Vanessa Lalo), qui a mis le feu aux poudres : des dizaines de milliers de visites, des centaines de réactions… auxquelles le Professeur Bègue n’a pas hésité à répondre, en luttant pied à pied.

Ce sont justement ses réponses, plus que l’article lui-même, qui m’ont intéressé. Au-delà de ce que je pouvais penser de ses arguments, j’ai apprécié son courage et sa pugnacité, et j’ai voulu en savoir plus. Je lui ai donc envoyé un questionnaire par mail, et il a eu la gentillesse d’y répondre jusqu’au bout, malgré un emploi du temps chargé, ce dont je lui suis reconnaissant. Voici donc mes questions et ses réponses.

1/ Contexte :

Pour commencer, parlez-nous un peu de vous et de votre parcours, si vous le voulez bien. Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser, dans l’ordre, à l’agression humaine, la violence des médias, et en particulier la violence des jeux vidéo ?

Après ma thèse (Aix-Marseille 1), et quelques mois avant mon recrutement en 1999 comme Maître de Conférences à Grenoble, j’ai obtenu une bourse de recherche de l’Institut des Hautes études de la Sécurité Intérieure (aujourd’hui Institut des Hautes Etudes de Sécurité, INHES). Le projet était captivant : étudier les facteurs associés à la délinquance en comparant un échantillon d’adolescents pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) à des adolescents scolarisés et (apparemment) sans carrière délinquante. Ce qui fut mon premier véritable travail empirique sur la délinquance et l’agression (publié en 2000 dans les Cahiers de la Sécurité Intérieure) m’a donné la mesure de la diversité et de la complexité du phénomène. D’autres projets ont suivi, fondés non sur une méthodologie d’enquête de terrain mais sur l’approche expérimentale (consistant à étudier de manière contrôlée, toutes choses étant égales par ailleurs, l’influence d’une variable choisie sur des conduites d’agression). Grâce à l’aide de la Mission Interministérielle de Lutte contre les drogues et toxicomanies (MILDT) et la Direction Générale de la santé, j’ai étudié le rôle de l’alcool dans les conduites agressives (avec des résultats montrant par exemple que le simple fait de croire que l’on a consommé de l’alcool suffit à augmenter l’agressivité). Plus récemment, l’écriture d’un ouvrage de synthèse sur l’agression humaine m’a donné l’occasion de systématiser mes connaissances sur le sujet, de même que, plus récemment, Psychologie du bien et du mal (Odile Jacob, 2011). J’ai ainsi pu constater qu’il existe des centaines de facteurs qui influencent les conduites agressives. Parmi ces facteurs de risque (dont l’effet se cumule ou qui interviennent en interagissant), on compte les jeux vidéo violents, mais dans la hiérarchie de causes, d’autres facteurs comptent davantage. Certains sont des facteurs strictement biologiques (par exemple, le rythme cardiaque au repos), d’autres sont circonstanciels (chaleur, bruit, entassement). D’autres encore, plus importants en réalité, sont les schémas de comportement appris par expérience directe ou par des mécanismes d’observation et d’imitation, qui sont fondamentaux. L’être humain, comme ses cousins primates, est une machine à imiter. L’identification des neurones miroirs par les chercheurs de l’université de Parme apporte d’importants éclairages à ce phénomène qui est un pilier de l’explication psychosociale du comportement humain. Le phénomène mimétique se démontre de manière très convaincante lorsque l’on enregistre à leur insu les réactions d’un auditoire auquel on projette un film : dès qu’un acteur adopte une expression triste ou gaie, l’auditoire imite son expression faciale sans en avoir conscience.

Chez les humains, on observe également des processus bien plus élaborés, qui consistent à construire des règles de conduite par extraction de significations de ce qui est perçu autour de nous et non par reproduction stricte. C’est ce qui fait que si l’on observe une conduite violente mais que le protagoniste n’est pas attractif ou que son acte n’est pas couronné de succès, elle ne sera pas nécessairement imitée. L’observation des conduites d’autrui et l’influence des normes, qu’elles soient mises en scène dans un texte, dessinées, filmées ou jouées dans un environnement virtuel, affecte en cas d’exposition répétée et à long terme les mécanismes primaires de perception sociale, sur un versant émotionnel (la sensibilité à la souffrance d’autrui peut être émoussée) et cognitif (l’évaluation de ce que représente un comportement adapté, par exemple).

Avez-vous une expérience de joueur ?

J’ai été très passagèrement pratiquant : un usage préadolescent assez passionné de tout ce qu’un Amstrad CPC 664 permettait de faire sur un versant ludique. Les nuits de frappe à la lueur bleutée d’un petit écran d’interminables pages de programmes issus de revues comme Tilt ou Amstrad magazine font partie de cette période. Comme le moment où, après le « run » fatidique, le programme foirait à cause d’une erreur de frappe, qu’il fallait retrouver dans l’une des 1200 lignes du volapük angloïde qui était la marque de fabrique du basic Locomotive. Puis, un revival à la vingtaine m’a fait très brièvement découvrir les premiers jeux 3D comme Wolfenstein ou les opus initiaux de Doom. Aujourd’hui, quand je dois me forger une opinion sur un jeu avant une étude, je peux demander à l’un de mes thésards de me faire une démo approfondie.

Qu’avez-vous publié sur le jeu vidéo (ou la violence des médias) avant votre étude de 2011 ? Et qu’avez-vous lu au sujet des jeux vidéo ?

Lorsque vous engagez un programme de recherche, quel qu’en soit le sujet, vous consacrez ordinairement un certain temps à décortiquer la littérature scientifique. Je n’ai pas dérogé à cette règle. Au début des années 2000, l’un de mes collègues de sciences politiques m’a lancé une sorte de défi : il m’a proposé d’écrire un chapitre sur l’influence de la télévision sur les conduites violentes. Il était complètement persuadé que la télévision n’avait aucune influence. Il n’était pas le seul à le croire : un professeur de criminologie de Montréal avait même écrit un jour que sans la télévision, il y aurait une augmentation de la criminalité, développant un syllogisme invraisemblable du genre « la criminalité baisse aux États-Unis depuis 20 ans tandis que la pratique du jeu vidéo augmente, donc le jeu vidéo n’a aucun effet sur la violence ».

J’ai donc rédigé ce chapitre (paru en 2003 dans le livre En quête de sécurité, A. Colin), qui a convaincu mon collègue. Aujourd’hui, les travaux sur la télévision et ses influences (voir par exemple les livres bien documentés de Michel Desmurget ou de Sébastien Bohler) confirment largement cette position. Je pense que dans moins de dix ans, les choses seront identiques en ce qui concerne les jeux vidéo en France. Le débat sera plus équilibré et mieux informé.

Pour revenir à mes travaux : en 2002, un fait divers sanglant de « screaminalité » a projeté le sujet de l’influence de la télévision sous les projecteurs : un adolescent de 17 ans a mortellement poignardé l’une se des amies, mal inspiré par le film de Wes Craven. Il n’était pas le premier cinéphile à faire un usage mimétique de l’arme blanche. La commission Kriegel a été créée par Jacques Chirac pour réfléchir aux mesures à envisager afin de lutter contre les effets de la violence télévisée, et j’ai eu l’occasion d’y participer. Globalement, le rapport Kriegel a été mal reçu, et n’a pas eu de conséquences importantes. C’est une étrangeté française. Il existe encore des gens dans ce pays qui pensent que les images violentes n’ont aucun effet sur les spectateurs, voire qu’elles exercent une fonction cathartique. C’est pourtant sur le constat d’une influence réelle et mesurable des images que se justifient les milliards d’euros dépensés chaque année par l’industrie publicitaire. Cherchez l’erreur.

Pour revenir aux lectures, il n’existe aujourd’hui à ma connaissance aucun livre en langue française qui fasse vraiment le point de la recherche scientifique internationale, mais si l’on est prêt à lire l’anglais, je recommande volontiers trois livres :
– Anderson, C. et al. (2007). Violent videogame effects on children and adolescents. Oxford: Oxford University Press.
– Dill, K. E. (2009). How fantasy becomes reality: Seeing through media influence. New York: Oxford University Press.
– Kirsh, S. (2012). Children, adolescents, and media violence. A critical look at the research. London : Sage.

J’ajoute que la plupart des ouvrages de criminologie scientifique consacrent quelques pages au sujet, et que les conclusions sont quasi-unanimes (voir par ex : Bartol C. et Bartol, A. (2008). Criminal Behavior. London : Pearson).

Ceci dit, rien ne se substitue aux articles scientifiques eux-mêmes. Plusieurs dizaines de recherches ont été publiées depuis vingt ans sur les effets des jeux vidéo violents dans les quatre coins du globe. Comme dans la plupart des recherches comportementales ou médicales, toutes ces études ne donnent pas des résultats strictement similaires. Cela ne signifie pas pour autant que l’on ne puisse pas conclure. Il existe une méthode statistique appelé « méta-analyse » qui consiste à combiner toutes les études afin de faire ressortir les tendances principales. Si l’on examine les deux méta-analyses les plus récentes sur l’effet des jeux vidéo (Ferguson, 2007, 14 échantillons indépendants, 1189 participants et Anderson et al., 381 échantillons, 130296 participants), on constatera que les effets convergent clairement. Voir par exemple : http://www.psychology.iastate.edu/faculty/caa/abstracts/2010-2014/10asisbsrs.pdf

Sur la base de résultats aussi convergents, l’Académie Américaine de Pédiatrie, l’Association Américaine de Psychiatrie et l’Association Américaine de Psychologie ont donné le même avis : les recherches indiquent qu’une relation causale existe entre les jeux vidéo violents et le comportement agressif. La Cour suprême des États-Unis n’a pas conclu dans ce sens, mais il s’agit d’une position politique visant à préserver les libertés individuelles, non une conclusion qui découlerait des preuves scientifiques strictes. (voir http://www.wired.com/wiredscience/2011/06/supreme-court-video-games/)

2/ Sur la notion de « jeu violent » :

Qu’est-ce que vous entendez par « jeu vidéo violent » ? est-ce qu’on peut tous les mettre dans le même panier ? Même question en ce qui concerne les jeux « non-violents » ou « prosociaux ».

Un jeu vidéo violent est un jeu dont la structure autorise ou récompense l’administration d’un mal verbal, relationnel ou physique à d’autres personnages, qui ne sont pas « consentants ». A l’inverse, un jeu « prosocial » conduit à ce que le participant soit gratifié (par des points, ou une progression dans la partie) lorsqu’il contribue à apporter un bénéfice verbal, relationnel ou physique à un ou plusieurs autres personnages. Dans un jeu « non-violent », la progression peut se produire sans qu’une personne ne soit délibérément blessée ou aidée. Il s’agit évidemment d’aspects qui peuvent se mêler dans un même jeu (voir ici : http://www.psychology.iastate.edu/faculty/caa/abstracts/2005-2009/09GAYISMSLKBHS.pdf).

Ce que l’on sait sur les conséquences d’un jeu « violent », concerne les effets à court terme et ceux à long terme. A court terme, les pensées ayant trait à l’agression augmentent, ce qui contribue à ce que la probabilité d’une provocation légère ou simplement ambigüe soit interprétée de manière hostile. On observe également une augmentation à court terme des affects agressifs, un éveil physiologique (par exemple une augmentation du rythme cardiaque) qui augmente la tendance comportementale dominante. Dans les travaux que nous menons actuellement à Grenoble, nous constatons également des signes de stress (mesurés dans les fréquences de la voix) et de perturbations cardiaques supérieures. Occasionnellement, une imitation directe de conduites agressives observées peut se produire. A long terme, l’exposition répétée favorise le développement d’attitudes, croyances et attentes plus favorables à l’usage de l’agression, crée les schémas de conduite agressifs, qui deviennent cognitivement plus accessibles, et diminue l’accessibilité des schémas de conduite non agressifs. Enfin, on observe une désensibilisation à la violence : la réaction émotionnelle négative normale face à la violence est progressivement érodée.

Dans votre article Jeux vidéo : l’école de la violence, vous évoquez GTA 4 aux côtés de Virginia Tech : The Game, aussi appelé V-Tech Rampage, qui selon vous, fait partie d’une nouvelle génération de jeux « violents ». Est-il pertinent de mettre dans le même sac un jeu commercial qui a été conçu pour posséder une certaine qualité artistique (quoi qu’on pense de ce jeu par ailleurs), et un troll amateur bricolé en 2 heures, sans talent, par un pauvre type en mal de notoriété ?

Je n’ai pas écrit que V-Tech Rampage était un jeu de nouvelle génération, mais j’ai souligné un fait qui me semblait important : les jeux violents reflètent aussi le cadre historique dans lesquels ils sont conçus. Ma thèse, c’est qu’ils l’amplifient, mais j’insiste sur le fait que le jeu violent est aussi un symptôme sociétal. Tout comme GTA4 reflète la violence de New York (c’est pour cela que la critique de ce jeu par le maire de NY prêtait un peu à sourire), les jeux amateurs traduisent la violence de leur époque. C’est sur ce seul critère que le rapprochement était légitime, évidemment. Voici exactement ce que j’avais écrit : « D’autres jeux vidéo, commercialisés ou conçus par des amateurs et téléchargeables gratuitement, tirent également leur inspiration de la brutalité de l’actualité mondiale. Dans Kaboom : The suicide bombing game, jeu qui s’ouvre sur la caricature de feu Yasser Arafat, le joueur dirige un kamikaze arabe évoluant dans une ville. Son objectif : tuer le maximum de personnes. Après chaque explosion, le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants tués et blessés par l’explosion est comptabilisé. Dans Virginia-tech massacre game, le joueur incarne Seung-Hui Cho, auteur de la tuerie la plus meurtrière de l’histoire des États-Unis ».

Y a-t-il une séparation stricte entre jeux « violents » et « non-violents » ? N’y a-t-il rien entre les deux ? N’y a-t-il aucune autre catégorie de jeux qui puissent être étudiés ?

Au stade où en sont les connaissances sur le sujet une comparaison par simple contraste est déjà utile, mais je pense que nous n’en sommes qu’à une première étape, que j’accepte volontiers de considérer comme insuffisante, dans l’étude des jeux vidéo en général, et des jeux violents en particulier. Un progrès aura été fait quand, plutôt que de simplement sélectionner des jeux existants sur le marché pour les contraster (en nous arrangeant pour faire en sorte que sur certains aspects critiques comme la difficulté ou l’excitation qu’ils procurent, ces jeux soient comparables), nous travaillerons avec des programmeurs pour « habiller » un jeu avec des contenus différents. La comparaison sera plus rigoureuse.

Jusqu’où peut-on qualifier de « violent » un jeu qui alterne phases d’exploration/dialogue et phases d’action (exemple : les jeux de rôle comme Mass Effect, Dragon Age, les Elder Scrolls) ? Un jeu qui laisse la possibilité au joueur de commettre des actions violentes, mais qui ne l’y oblige pas (GTA) ? Un jeu qui laisse le choix entre plusieurs actions, violentes ou pas (Dragon Age, Deus Ex), ou qui laisse le choix entre l’action et l’infiltration (Metal Gear Solid, Deus Ex) ?

Vous avez raison de souligner que l’itinéraire dans un jeu est constitué de phases très hétérogènes. Catégoriser de manière binaire un jeu comme étant « violent » ou « non-violent » est difficile dans de nombreux cas. Il me semble cependant que ce qui fait qu’un segment de jeu pourra être jugé violent, ce sera d’abord le fait qu’il soit possible et légitime dans la structure du jeu d’abattre ou de blesser d’autres personnages pour progresser. Il faudrait aller plus loin et étudier les effets successifs de ces différents segments de jeu pour établir comment ils s’enchainent.

Est-ce que, selon vous, la vue (première personne, troisième personne, profil…) change quelque chose en terme d’effets ?

Mon intuition serait que le jeu à la première personne devrait avoir un impact plus agressogène par un effet d’identification supérieur, mais pour l’heure cette intuition n’est pas corroborée par les résultats (jusqu’à présent non publiés) d’un collègue qui n’a pas constaté aucun effet significatif en menant une étude exactement sur cette question.

Je pense pour ma part qu’un jeu « violent » est un jeu qui peut être résumé par sa violence (que ce soit dans le contenu technique ou le gameplay). Cette définition est-elle valable ?

Cette définition est tautologique si l’on ne donne pas une définition de la violence.

3/ Sur « l’industrie » et les « démagogeeks » :

Qu’est-ce que vous entendez par « industrie du jeu violent » ? Y a-t-il vraiment une coupure avec le reste de « l’industrie » ?

Je n’affirme pas qu’une coupure existe, mais il me semble que les entreprises comme Activision ou Rockstar seraient méconnaissables sans certains de leurs titres-phares, non ?

Quand vous évoquez « les industriels » ou « les fabricants » dans votre discours, est-ce que vous considérez que toute « l’industrie » se résume aux constructeurs et aux gros éditeurs ? Est-il pertinent de faire de « l’industrie » un bloc monolithique, au risque de mette tout le monde dans le même sac ?

L’industrie du jeu vidéo est multiple et diverse, il ne me semble pas avoir affirmé le contraire. L’offre de thatgamecompany ou les œuvres de Fumito Ueda illustrent cette idée.

Il paraît qu’Ubisoft a réagi à votre étude. Qu’ont-ils dit exactement ?

Emmanuel Carré, d’Ubisoft, a jugé bon d’expliquer dans un entretien au Dauphiné Libéré en janvier 2012 : « des études, il y en a eu énormément qui disent tout et son contraire ».

Ce propos n’est pas nécessairement insincère : les travaux qui ont été menés dans la sphère anglophone ne sont pas connus, en dehors de ce que quelques spécialistes leur font sélectivement dire en France. Cependant, j’aurais trouvé plus responsable que la question ne soit pas balayée d’un revers de la main.

Vous avez assez souvent assimilé vos contradicteurs à des « ventriloques » ou à des mercenaires de « l’industrie ». Avez-vous la preuve qu’ils ont été payés ?

Ai-je affirmé que les personnes qui nient certaines conséquences des jeux violents soient des mercenaires ? Non. Je constate néanmoins que les intérêts objectifs de l’industrie sont curieusement servis par des personnes qui se proclament « expertes » (sans faire partie d’un organisme de recherche en général). Mon avis personnel, c’est que ces intervenants ne sont pas financièrement inféodés à l’industrie, mais sont simplement immergés dans des réseaux ou des pratiques confirmatoires par lesquels il devient terriblement exigeant de penser autrement.

Quand vous parlez de « démagogeeks », pourquoi « geek » ? « Démago », ça ne suffisait pas ? (d’autant qu’un « démago » flatte le peuple, pas les puissants)

Le pouvoir est-il vraiment pyramidal dans les réseaux de joueurs ? Affirmer avec un vernis expertal à un auditoire de joueurs que les chercheurs n’ont rien compris à leur sujet est une forme de démagogie. Les animateurs de forum de joueurs se garantissent courageusement leur instant wahrolien en caricaturant les recherches scientifiques. Le démagogeek pourrait donc être une construction idéale typique décrivant ceux qui optent sélectivement pour ce qui va dans le sens du poil du geek, préférant son poil à son neurone, je dirais.

Ce sont surtout les joueurs qui ont réagi à vos études. On a très peu entendu les « industriels ». D’ailleurs, pendant des années, la politique des éditeurs comme Rockstar (GTA) ou idSoftware (Doom) a été de ne pas réagir aux polémiques et de laisser passer l’orage (sources : Masters of Doom et Jacked de David Kushner). On a pu, dans la presse comme à la télé, prêter à certains jeux un contenu qu’ils n’avaient pas sans que les éditeurs ou développeurs concernés ne réagissent. A titre d’exemple, les médias généralistes allemands ont pu affirmer que dans Counter-Strike on pouvait tuer des écolières, ou que dans GTA San Andreas on pouvait violer des femmes, sans déclencher de réaction autre que celles des joueurs (sources compilées et traduites ici-même). Sans oublier qu’entre joueurs et éditeurs, les sujets d’opposition ne manquent pas (sur le piratage, le marché de l’occasion, l’évolution de certaines séries de jeux…). En conséquence, est-il pertinent de ramener toute contradiction aux manœuvres d’une « industrie » aux contours flous ? N’est-ce pas une cible d’autant plus facile qu’elle n’a pas beaucoup de répondant (au risque, d’ailleurs, de passer pour un ramassis de lâches) ?

Vous en connaissez un rayon. Oui, l’industrie adopte une position attentiste qui n’est tenable que parce qu’est régulièrement entretenue l’idée que les résultats des recherches ne sont pas probants. Par ailleurs, le simple fait que les politiques ou certaines personnalités publiques se discréditent en s’emparant du sujet pour laisser entendre que le jeu vidéo doit être interdit et pervertit la jeunesse est suffisamment urticant pour que tout ce qui ressemble à une mise en cause du jeu vidéo violent recueille une volée de bois vert. (voir par exemple : http://www.ecrans.fr/La-guerre-de-Rule-of-Rose.html)

La comparaison avec l’industrie du tabac revient assez souvent dans vos propos et dans ceux de vos collègues. Or, le tabac est accusé, non pas d’augmenter les comportements agressifs, mais de tuer la moitié de ses consommateurs. Et l’industrie du tabac (qui, elle, peut se résumer aux gros cigarettiers), a fait beaucoup plus que nier les études scientifiques : elle savait depuis les années 50, d’après ses propres études internes, que la cigarette était cancérigène, et que la nicotine était une drogue. Non seulement elle l’a caché, mais en plus, elle a manipulé sciemment ses produits pour les rendre plus addictifs. Et elle a favorisé la contrebande de cigarettes (source : Le rideau de fumée de Gérard Dubois, d’après les archives des cigarettiers). Peut-on vraiment reprocher la même chose à « l’industrie » du jeu vidéo sans gagner un Point Godwin ?

J’invoque une comparaison qui porte sur une similitude qui apparaît acceptable : une négation de preuves scientifiques lorsque pourtant elles existent, qui est financièrement plus avantageuse pour les constructeurs que la position inverse. Aurais-je versé dans une reductio ad hitlerum en associant Counter Strike à Lucky Strike ? Je ne m’en étais pas aperçu.

4/ Sur les réactions des joueurs :

Votre étude et vos articles ne visent que les jeux « violents ». Or, ce sont « les joueurs » dans leur ensemble qui se sont sentis visés, et qui ont estimé qu’on s’en prenait aux jeux vidéo dans leur ensemble. Comment expliquez-vous ce paradoxe ? Ont-ils raison de se sentir visés ?

Puisque les leaders d’opinion sur le sujet ont eux-mêmes recours à cet amalgame, comment être surpris qu’il trouve de l’écho chez les joueurs ? Lorsque vous faites état de recherches montrant certains effets défavorables de jeux vidéo violents, la deuxième réponse pavlovienne qui se déclenche mécaniquement (après l’argument des études contradictoires) est : « mais si, les jeux vidéo sont socialement importants et bénéfiques (serious games, effets thérapeutiques etc) ». Il est d’ailleurs récréatif de constater que les bénéfices imputés au jeu vidéo recueillent toujours un assentiment quasi-automatique. Par exemple, on mentionnera avec force l’utilisation du jeu vidéo à des fins thérapeutiques auprès de vétérans d’Irak alors que pour l’instant, quelques dizaines de patients seulement ont été traités…

L’invocation des bénéfices du jeu vidéo, lorsqu’elle est hors sujet, se produit comme si les travaux très circonscrits qui font état de conséquences problématiques menaçaient l’empire du jeu vidéo qu’il faudrait alors sanctifier. Aujourd’hui, une partie importante des jeux les plus populaires pratiqués par les joueurs contiennent effectivement de la violence. De nombreux joueurs montent au créneau parce qu’ils pensent que les recherches sont insuffisantes pour se permettre d’affirmer que certains des jeux qu’ils apprécient ne soient pas nécessairement anodins. Un autre problème tient peut-être au fait qu’une lecture trop rapide de nos travaux peut laisser entendre que le jeu vidéo rend automatiquement tout le monde très violent, et que cette cause est l’une des causes principales des violences sociales. Évidemment, si l’on comprend cela, comment ne pas s’irriter ? On peut également penser, face à des réactions aussi polarisées que l’autojustification fonctionne à plein régime. Si vous êtes joueur ou programmeur, le déni est une option tentante.

Les résultats que nous observons doivent se lire au niveau d’un échantillon et pas au niveau individuel : on ne sait pas qui sera influencé de manière indésirable par un jeu vidéo violent, mais si l’on fait une moyenne, on constate qu’un groupe de personnes ayant joué à un jeu violent augmente ses risques par rapport à un groupe ayant joué à un jeu qui ne comporte pas de contenus violents. L’influence indésirable, ce pourra être un comportement perturbateur en classe, une réaction épidermique face à un autre élève qui vous titille entre deux cours, ou un coup de klaxon hostile en voiture. En l’absence d’autres facteurs de risque, on ne peut pas raisonnablement croire qu’un jeu vidéo puisse amener quelqu’un à agresser très gravement une autre personne. Ceux qui font dire cela aux chercheurs ne sont pas sérieux. Le coût social du jeu vidéo violent tient peut-être encore plus à ce qu’il amenuise : les conduites d’aide, la coopération dans les relations sociales. Il est plus difficile de concevoir ce qui ne se produit pas. Il faut être Sherlock Holmes pour se demander pourquoi le chien n’a pas aboyé, ou un chercheur expérimentaliste pour signaler que telle conduite socialement constructive n’a pas eu lieu quand elle pouvait se produire.

Le plus souvent, vous précisez, le temps d’un paragraphe, que vous n’incriminez pas le jeu vidéo en tant que tel, que vous prenez soin de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Croyez-vous que ces concessions, noyées dans l’article, peuvent être entendues et comprises ? Et est-ce que ces concessions ne sont pas un peu vaines, quand vous mettez les jeux « violents » et « l’industrie » dans un même sac uniforme ?

Peut-être. Il est probablement inutile de rappeler dans ce contexte que nous ne mettons pas en cause le jeu vidéo mais les contenus violents.

Il vous arrive de saupoudrer vos articles d’exemples un peu « choc » et pas toujours bien choisis (World of Warcraft joué par Anders Breivik, Soldier of Fortune…), et les titres sont du même tonneau (« Voulez-vous tuer avec moi ce soir ? »). Pensez-vous que ce soit le meilleur moyen de vous faire entendre ? Certes, « quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt ». Mais quand c’est un doigt d’honneur qui est brandi, est-ce que ça va aider à mieux voir la lune ?

J’ai passé une quinzaine d’années à publier des papiers lus par quinze personnes dans des revues anglophones en respectant des normes d’uniformisation aseptisantes. Je suis donc prêt à accepter l’idée que j’ai des progrès à faire quand j’écris pour le grand public.

La plupart des réactions sont négatives ou hostiles, bien que certaines personnes aient pris votre défense, ou regretté la pauvreté des critiques qui vous ont été adressées, ou encore loué votre courage et votre volonté de dialoguer (c’est mon cas). Peut-on y voir un échec dans votre manière de communiquer les résultats de votre étude ?

Vous êtes en train de m’interviewer, mais cela ne prouve évidemment pas que j’avais raison ! Plus sérieusement, je ne me suis jamais attendu à autre choses qu’a une majorité de critiques acerbes. L’un de mes collaborateurs, Brad Bushman, qui travaille depuis longtemps sur le sujet, fait l’objet d’attaques virulentes alors qu’il est l’un des universitaires les plus pédagogues et courtois que je connaisse. Les personnes qui sont en désaccord avec les propos manifestent occasionnellement des réactions polarisées et superficielles parce que le contexte des forums de discussion favorise ce type de réponses. J’essaie de ne pas m’y arrêter.

5/ Sur ce que vous attendez du jeu vidéo :

Douglas Gentile a dit assez souvent qu’il n’était qu’un scientifique, pas un législateur. Quand la Cour Suprême de Californie a statué sur une loi interdisant la vente de jeux « violents » aux mineurs, il s’est gardé de prendre parti pour cette loi, et s’est contenté de parler des résultats de ses études. En ce qui vous concerne, est-ce que vous souhaitez une législation des jeux « violents » ? Si oui, laquelle (restriction aux mineurs, interdiction…) ?

La solution législative ne me semble pas constituer une priorité, et je n’y suis pas favorable en l’état actuel. Je préfère que l’on se mette d’accord pour inciter les parents à limiter le temps de jeu, parce que ce n’est pas sans conséquences. On arrive bien à leur conseiller de donner moins de frites à leurs enfants. Adopter une perspective de santé publique éloigne des solutions binaires, fait avec l’existant et ouvre des voies de progrès. Par exemple, l’Association Américaine de Pédiatrie recommande de ne pas mettre les enfants de 3 à 18 ans plus de 1 à 2 heures devant un écran par jour.

Dans votre dernier article, vous avez appelé « l’industrie » à « prendre ses responsabilités » ? Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par là ?

L’industrie ferait un pas énorme en sortant d’une posture attentiste et occasionnellement « négationniste ». Reconnaître que les jeux violents peuvent poser problème ne signifie absolument pas qu’ils doivent être abolis, mais implique que les joueurs et leurs parents pour les plus jeunes soient rendus davantage conscients des effets possibles. Par exemple, les parents seraient obligés de s’intéresser de plus près au contenu des jeux, pourraient limiter le temps passé par leur progéniture à jouer à des jeux manifestement violents et s’intéresser aux nombreux jeux qui développent des compétences désirables. Favoriser une substitution progressive et volontaire n’est pas nécessairement impossible si le message est consensuel et accompagné. C’est une première étape. Ensuite, je crois qu’il serait intéressant de développer davantage de jeux qui valorisent la coopération ou la stratégie en contexte non guerrier (il y a aussi de la stratégie dans Resident Evil ou Gears of War) en faisant suffisamment preuve d’imagination pour que leur intérêt parvienne à rivaliser avec les virtuosités techniques des jeux aux contenus violents qui dominent aujourd’hui le marché. L’univers virtuel est un espace d’apprentissage fascinant et unique qui peut être enrichi de nombreux contenus plus formateurs que la violence à mon sens, et sans que le plaisir ludique ne soit nécessairement sacrifié.

Vous avez critiqué la norme PEGI, en expliquant que la classification des jeux devait être assurée par les « citoyens ». A quel genre de « citoyens » pensez-vous ? Sur quels critères les jeux seraient-ils classés ? Et qu’en est-il des autres médias (cinéma, télévision…) ?

Des associations de consommateurs pourraient prendre le relais, au moins sur les jeux les plus diffusés.

Il vous arrive de louer les vertus « pédagogiques » du jeu vidéo, ou des effets « positifs » des jeux « prosociaux ». Avez-vous des exemples en tête ? N’est-il pas possible de penser le jeu vidéo autrement qu’en termes d’effets « positifs/négatifs », ou de contenu « violent/non-violent » ?

J’ai parlé d’effets « positifs » au sens large pour rappeler que le problème n’est pas le jeu vidéo mais son contenu. Il faut certainement préciser. Dans le domaine des apprentissages, le jeu vidéo peut surpasser des méthodes traditionnelles. Selon une étude réalisée en école primaire, la réussite à des contrôles de géographie et la motivation des élèves est supérieure lorsqu’ils ont joué à un jeu pédagogique sur cette discipline (Tuzun, 2009). Une étude de Green et Bavelier (2003) a montré qu’après avoir joué à des jeux vidéo, l’attention visuelle des joueurs est moins fatigable, ceux-ci évaluent un plus grand nombre d’objets que les non-joueurs, et ont de meilleures performances dans la poursuite simultanée de plusieurs objets dans le temps et l’espace. Une autre étude consacrée aux jeux de stratégie montre qu’après un entrainement de 24 heures, les participants avaient une amélioration de la mémoire de travail, la mémoire visuelle à long terme et le raisonnement (Basak, 2008). Des effets existent également dans l’éducation à la santé (une synthèse de 27 recherches indépendantes montrent de meilleurs apprentissage des contenus de santé, du fait d’un certain nombre d’aspects comme l’identification plus forte aux modèles (et donc à leur message), du caractère immersif, de l’adaptation au niveau des connaissances de chaque joueur et du soutien de l’attention, par exemple. On pourrait citer de très nombreux autres exemples, qu’il s’agisse de thérapie virtuelle (j’ai récemment visite le laboratoire du Pr Roland Jouvent qui développe ces outils dans son labo de la Salpêtrière à Paris), de remédiation dans les cas de dyslexie ou d’apprentissages professionnels. Les possibilités sont infinies. Pour terminer, j’aime citer ces recherches menées par questionnaire, par suivi de cohortes ou en laboratoire et menées aux États-Unis, à Singapour et au Japon, et qui montrent que la pratique de jeux vidéo impliquant des interactions coopératives et altruistes (par exemple certains segments de Super Mario Sunshine) augmentaient ces conduites dans la vie réelle.

Dans les commentaires, vous avez également appelé « l’industrie » à être plus « originale », et à produire des jeux qui reposent moins sur la violence. Comment comptez-vous l’y inciter ? Avez-vous, vous-même, des idées de jeux en tête ? Et tant qu’à faire, pourquoi n’allez-vous pas vous-même au charbon, sachant que les exemples de productions amateur ne manquent pas ?

Je n’exclus pas l’idée de me rapprocher de l’industrie pour de prochaines études.

6/ Questions supplémentaires (Martin Lefebvre, de Merlanfrit) :

Est-il pertinent de parler des jeux si on ne les pratique pas ? C’est un argument assez piégeux, on peut causer de pratiques qui ne sont pas les nôtres (la toxicomanie par exemple), mais est-ce pertinent dans le cadre de pratiques culturelles ? Après tout, il est difficile de parler de l’effet des livres ou des films sans les lire/les voir.

De quoi parle-t-on, quand on parle de « parler » ? Mon propos ne consiste pas à paraphraser les contenus des jeux, à spéculer sur le gameplay, à identifier leurs évolutions historiques ou à faire des cultural studies sur ce média. Certains l’ont d’ailleurs fait, et ce qui ressort – vous allez-dire que je m’enfonce dans la dénonciation – n’est pas toujours sans poser des problèmes : les femmes et les personnes qui ne sont pas blanches de peau sont non seulement sous-représentées, mais souvent stéréotypées et confinées à des rôles subalternes ou requérant de l’aide, lorsqu’il ne s’agit pas franchement de sexisme ou de racisme voilé. Par exemple, une analyse de contenu publiée en 2008 par Robinson a montré que dans les sites les plus populaires de jeux vidéo, il y a 3 personnages masculins pour une femme, que 80% des femmes sont minces ou très minces, et qu’un tiers d’entre elles ont des formes plantureuses à souhait. Malheureusement, je ne suis pas payé en ce moment pour le calibrage biométrique des Lara Croft callipyges des jeux vidéo, mais pour étudier les conséquences des contenus violents sur les émotions, pensées et conduites, de ceux qui y jouent. Pour cela, je m’appuie sur une définition précise et opérationnelle de l’agression et je compare des jeux qui en requièrent avec d’autres qui n’en requièrent pas pour progresser dans la partie. Je pourrais travailler de manière plus fine encore, évidemment, car comme on l’a dit, de nombreux jeux émargent à des catégories diverses. Mais au préalable, il est utile de commencer par contraster des jeux suffisamment différents sur les contenus tout en ne l’étant pas sur d’autres paramètres critiques.

Est-ce que l’agressivité est nécessairement malsaine ? N’y a-t-il pas de l’agressivité positive (la révolte face à une injustice ?). Plus généralement, n’a-t-on pas besoin de tester nos limites ?

Les philosophes planchent sur la légitimation morale de la violence depuis Cicéron. Plus près de nous, Sartre a justifié un temps la violence terroriste. Le révolutionnaire Sorel écrivait « la violence apparaît ainsi comme une chose très belle et très héroïque, elle est au service des intérêts primordiaux de la civilisation (…) elle peut sauver le monde de la barbarie ». Un penseur américain de gauche peu suspect d’extrémisme, Michaël Walzer, a écrit qu’une guerre juste n’est possible que si toutes les options non violentes ont été examinées avec soin. Personnellement, je pense que ce n’est sûrement pas en augmentant les facteurs de risque globaux que l’on garantit un usage ajusté de l’agression, et encore moins la justice sociale.

Merci encore à Laurent Bègue pour sa disponibilité, bonne rentrée et bonne continuation à lui ainsi qu’à ses élèves.

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est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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9 commentaires »

  1. Intéressant entretien. A relire pour voir si j’ai des remarques à faire ^^

  2. Merci Shane pour cette interview.
    Il en ressort que la définition d’un jeu violent est toujours aussi malaisée, autoriser ou récompenser « l’administration d’un mal verbal, relationnel ou physique à d’autres personnages, qui ne sont pas “consentants” » est bien vague. Le même problème de la définition de la violence se pose au cinéma. Je viens d’aller voir une grosse bouffonnerie, « Expendables 2: unité spéciale » et il est « Interdit aux moins de 12 ans ». J’ai été assez mal à l’aise devant l’ultra violence du truc, avec son pseudo humour 1980’s – qui fait pitié. Et je me suis demandé : comment un ado de 12 ans pouvait appréhender ce film-boucherie ?
    il me semble qu’il y a un gros décalage en France entre ce que le jeu vidéo et le cinéma sont autorisés à montrer à un ado de 12 ans. Peut-être est-ce parce que le PEGI est un organisme européen, donc plus sévère, car devant rendre des comptes devant beaucoup plus de pays ?
    Seulement, mettons-nous à la place de l’ado lambda qui peut avoir accès à une violence encore plus crue via Internet et ses sites poubelles : les accidents de la route, les tueries, etc.
    Cette situation où l’accès à la violence n’est pas la même selon le média n’est-elle pas problématique ?
    Dire aux parents, comme le fait Laurent Bègue, de s’occuper de l’éducation de leur ados est un peu suranné au vu du potentiel technologique dont les jeunes disposent aujourd’hui.
    Il semblerait que cela ne suffise pas au vu des drames contemporains, où la perte des repères chez les jeunes est fréquemment évoquée.
    Il faudrait une intervention étatique (voire européenne), non pas répressive, mais qui proposerait une réforme sur l’éducation aux médias, en concertation avec tous les acteurs de l’industrie du divertissement pour que cela soit efficace.

  3. http://uneheuredepeine.blogspot.fr/2012/08/le-sexisme-dans-les-jeux-pourquoi-est.html

  4. @Benji :
    Dire que Schwarzenegger, dans une autre vie, a soutenu une loi qui restreignait la vente des jeux « violents »… Cela dit, ce n’est pas la définition qu’on peut donner d’un jeu « violent » qui me pose problème, mais la confusion qu’on peut faire entre ce qui est violent, ce qui est immoral, ce qui est « dangereux », etc…

    Comme je l’ai dit sur Merlanfrit, il se trouve que le jeu auquel j’ai le plus joué pendant ces vacances, King’s Bounty : Crossworlds, est un jeu qu’on peut qualifier de « violent », non pas dans son contenu, mais dans son gameplay. Le problème, c’est que si on présente publiquement les King’s Bounty comme des jeux « violents », les gens vont tout de suite s’imaginer que ce sont des produits toxiques, des mélanges de Manhunt et de Soldier of Fortune. Tout ça parce que dans l’esprit du grand public, jeu violent = jeu dégueulasse, crétin et dangereux pour la société.

    Par contre, je ne vois pas en quoi c’est « suranné » de dire aux parents de s’occuper de leurs gosses. Certes, c’est l’un des mantras favoris de notre « communauté », l’un des automatismes dont on abuse le plus, aux côtés de « je joue à des jeux (violents) depuis l’enfance et ça n’a pas fait de moi un criminel ». Mais je me souviens que Familles de France arguait déjà, il y a 10 ans, du potentiel technologique pour expliquer que les parents étaient impuissants face aux jeux violents, donc qu’il fallait les interdire en magasin. On en revient toujours au problème de départ : qui achète les jeux ? Et qui achète le matériel ?

    Que les parents aient besoin d’être aidés, soit. Qu’ils ne soient pas les seuls responsables de ce qui tombe entre les mains de leur enfants, soit (les revendeurs, les marketeux… ont aussi des comptes à rendre). Mais dans l’affaire, leur rôle ne change pas, peu importe l’évolution de la technologie.

    @mlkd :
    Merci pour le lien. C’est à ça que je me rends compte qu’avec mes marottes sur la violence vidéoludique, je suis peut-être un gros has-been.

  5. Bien joué le coup du « Familles de France » dans ta face, lol.
    Sauf qu’ils basaient leurs arguments sur la morale catholique, du genre « n’achetez pas ce jeu ou votre fils va vous étrangler pendant la nuit… et à l’échelle d’un pays, les jeunes prendront le pouvoir… ce sera l’apocalypse ! » lol.

    Prenons un exemple concret au lieu de déconner, le cas d’un ado de 12 ans qui a un smartphone 4G.
    Avec ce joujou technologique dans la poche, il a accès à tout : les jeux +18 dispos sur le marché et les jeux trash amateurs dispos en libre circulation, les films violents, les films x, les vidéo trash sur youtube et d’autres bien plus violentes sur d’autres sites spécialisés qui proposent ce qu’il y a de plus rabaissant pour l’humanité.

    Bref, une fois qu’on a dit « c’est aux parents de s’occuper de leurs gosses », qu’est-ce qu’on fait, concrètement ?
    Le gosse a accès à tout, tout le temps et partout…

  6. Concrètement, une fois qu’on a dit : « c’est aux parents de s’occuper de leur gosses », qu’est-ce qu’on fait ?

    Prenons le cas d’un ado lambda de 12 ans, qui a un smartphone 3G. Avec ce joujou dans la poche, il a accès à tout et n’importe quoi : jeux vidéo amateurs trash, vidéo x, vidéo trash sur Youtube et bien pire sur des sites spécialisés qui filtrent leurs vidéo non pas dans le but de protéger les plus jeunes, mais au contraire dans le but de choquer un maximum.
    Il faut arrêter de se voiler la face ! L’ado d’aujourd’hui a accès à tout, partout, et tout le temps.
    Je ne suis pas en train de dire, comme Famille de France, qu’il faille interdire la diablerie technologique au nom de la morale catholique (je renvoie à mon livre pour plus de détails). Je dis juste que lorsqu’un spécialiste comme Laurent Bègue explique qu’en gros « c’est aux parents de s’occuper de leur gosses », on n’est pas bien avancé…

  7. Si tu veux en savoir plus sur ce que pense Laurent Bègue de la situation des parents, va voir sa réponse à Vanessa Lalo, surtout le paragraphe « Les mauvais parents cassent l’ambiance ». Au fond, sa position n’est pas si éloignée de la tienne : beaucoup d’ados ont effectivement accès à tout, partout et tout le temps, et le coup de « la faute aux parents » est quelque peu hypocrite.

    Par contre, ce qu’il espère, c’est qu’avec les études menées par lui, Bushman et d’autres, les parents vont réagir et se sentir obligés de s’intéresser davantage à ce que font leurs enfants, parce que grâce à ses études, ils réaliseront que certains contenus ne sont pas sans conséquences. Personnellement, j’y crois moyennement, surtout quand je pense à ce qui s’est passé avec la télé, ou au porno sur Internet qui est consommé dans l’indifférence quasi-générale. Mais je me dis que si ça pouvait être le petit truc qui ferait la différence pour une poignée d’entre eux, ce serait déjà ça.

    Et puis, il y a l’exemple que tu cites de « l’ado lambda de 12 ans qui a un smartphone 3G » qui ne me laisse pas indifférent. Pour moi, c’est déjà une aberration, mais malheureusement, c’est aussi une réalité. Je maintiens que la technologie n’est pas une excuse. Mais elle s’est imposée en peu de temps.

    On en revient à la sempiternelle question « et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? ». J’avoue que j’ai peu d’idées, mis à part une campagne nationale d’information et d’éducation, similaire à ce que tu préconises. C’est mieux que rien.

  8. Pardon du double post, le message n’était pas apparu.

  9. Merci Laurent
    garde le cap

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