On jouait déjà avant ta naissance, donc on a raison

Quand le berger est mou, le loup chie de la laine – Episode 1

Par • le 30/7/2008 • Entre nous

« A mol pastor chie lous laine ». Ce dicton se trouve en conclusion d’un fabliau érotique médiéval dont le thème est la couardise (1). Il nous servira de fil conducteur pour le reste de cet article, dans lequel nous parlerons du comportement des acteurs du jeu vidéo (éditeurs, développeurs…) face à leurs détracteurs.

Lamm Party

A tout seigneur tout honneur, commençons par Ronnie Lamm. En effet, c’est cette mère de famille de Long Island et membre de la PTA (Parent Teacher Association) locale qui, au début des années 80, a été la première à lancer une croisade contre les jeux vidéo (ou au moins la première dont « l’histoire » a retenu le nom). A l’époque, il s’agissait des jeux comme Pac-Man et Space Invaders, qui étaient en plein boom, à tel point qu’on commençait à trouver des bornes d’arcade à peu près partout (centres commerciaux, cinémas, cafés…), au grand dam de nombreux parents. En particulier Madame Lamm, qui accusait les jeux vidéo, en particulier les jeux d’arcade, de « corrompre [la] jeunesse » et de « rendre [les] enfants accros ». Morceaux choisis (2) :

« Dans les salles d’arcade, on entend des propos inacceptables et on observe des comportements antisociaux. Il n’y a que les voyous qui fréquentent ces salles, et nous nous inquiétons pour les jeunes enfants qui ne sont pas assez grands pour pouvoir porter des jugements de valeur. Ceux qui n’ont pas de valeurs morales solides peuvent être entraînés dans ces endroits. Ils ne savent pas qu’ils sont pris au piège. Ces salles incitent aux jeux d’argent et renforcent les comportements agressifs. Et beaucoup d’entre elles sont tenues par des ordures (…) qui ne pensent qu’à faire du profit rapidement« .

Sa croisade n’était pas que verbale : à force de pétitions, de réunions et d’entretiens avec divers groupes de parents, d’éducateurs et de politiciens, elle est devenue figure de proue d’un mouvement national et fait annuler l’ouverture de salles d’arcade dans plusieurs villes (3). Cela dit, on n’a plus entendu parler d’elle par la suite. Sans doute parce qu’en 1983 le « Video Game Crash » était passé par là, au grand soulagement de nombreux détracteurs du jeu vidéo.

Dans un autre registre, les « historiens » du jeu vidéo se souviennent également de quelques mots désagréables prononcés à la même époque par Charles Everett Koop, à l’époque Secrétaire Général à la Santé. Cependant, son cas est très particulier. Contrairement à Ronnie Lamm, il ne menait aucune croisade contre les jeux vidéo : en fait, il n’a fait que prononcer quelques phrases, à deux reprises, dans le cadre d’un discours plus général sur le problème de la violence (4). Et pourtant, on s’en souvient 20 à 25 ans plus tard, peut-être parce que ces remarques provenaient d’un personnage politique important.

D’après les archives regroupant les articles et discours de C. Everett Koop (5), c’est le 26 octobre 1982, lors d’un discours sur la violence et la santé publique prononcé à New York devant l’American Academy of Pediatrics, qu’il s’en est pris pour la première fois aux jeux vidéo, juste après avoir attaqué la violence à la télévision : « Je sais que ces jeux ne sont pas constructifs. Qu’ils montrent des soldats, des vaisseaux spatiaux ou des hommes de « l’autre camp », on doit les zapper – et ça veut dire qu’il faut les annihiler (…) J’ai une fois encore souligné l’impact destructeur de la télévision sur les enfants, et j’ai ajouté les jeux vidéo sur la liste » . (6)

Apparemment, ces remarques n’ont pas fait de bruit. Mais quand il les a réitérées en marge d’un discours tenu le 9 novembre, au Western Psychiatric Institute de Pittsburgh, elles ont été largement médiatisées, et ce quand bien même ces remarques aient été prononcées en « off ». La polémique a atteint de telles proportions qu’il a fait une déclaration le lendemain pour calmer le jeu, si l’on peut dire : « En réponse à une question suite à un discours sur la violence domestique à l’Université de Pittsburgh, j’ai indiqué que certains jeux vidéo pouvaient, par leur ton, inciter à la violence. Cela représente mon jugement personnel, et cela n’était basé sur aucune preuve scientifique, par ailleurs cela ne représente pas le point de vue officiel du Service de Santé Publique. Mes remarques en « off » ne faisaient pas partie du discours que j’avais préparé. Rien dans ces remarques ne peut être interprété comme impliquant que les jeux vidéo en soi sont violents de par leur nature, ou néfastes pour les enfants ». (7)

Mais au fait, quelle a été la réponse des personnes visées ? A-t-on entendu des créateurs de jeux vidéo défendre le fruit de leur travail ? Ou des gérants de salles de jeux offusqués d’avoir été traités « d’ordures » assoiffées de profits ? En fait, il semblerait que les « historiens » du jeu vidéo se souviennent davantage des accusations portées contre eux par Ronnie Lamm et d’autres que de leurs éventuelles réponses, ce qui est assez surprenant.

Pourtant, ils se sont défendus, notamment lors de débats télévisés. Par exemple, dans l’émission MacNeil/Lehrer Report, Glenn Braswell, directeur exécutif de l’AGMA (Amusement Game Manufacturers Association, qui regroupait aussi bien les fabricants de flippers que de bornes d’arcade) a défendu son gagne-pain aux côtés d’un journaliste contre Ronnie Lamm et un rabbin qui n’était pas vraiment opposé aux jeux vidéo, mais à leur violence (8). Un autre débat télévisé arbitré par Phil Donahue a opposé Madame Lamm à Stanley Jarocki, responsable marketing pour la firme Midway. L’émission a été disponible pendant un temps sur YouTube avant d’être retirée pour une raison que j’ignore. Mais pour le peu que j’en ai vu, face à une Ronnie Lamm sûre de son bon droit et de la justesse de sa cause, Jarocki paraissait embarrassé. Et surtout, j’ai eu l’impression qu’il défendait le jeu vidéo en tant que business, mais pas en tant que loisir.

Certes, Glenn Braswell s’est avéré plus efficace dans sa défense, puisqu’il jouait la carte de la recherche scientifique (ou plutôt du manque de recherche scientifique) face à ses détracteurs. En particulier, lors de la polémique provoquée par les remarques de C. Everett Koop, il a réagi vigoureusement (9) : « après avoir fait part de votre opinion, vous avez admis publiquement que vous n’aviez aucune preuve scientifique sur les effets des jeux vidéo. (…) Vos commentaires de comptoir portent préjudice à l’intégrité de votre cabinet et peuvent causer de lourds dommages à des segments entiers de l’industrie américaine ». D’autres constructeurs et vendeurs de jeux ont même porté plainte contre le Département de la Santé que dirigeait Koop (10). Toujours sur le plan scientifique, Atari s’était arrangé pour engager des professionnels de la santé comme consultants, et sponsoriser des conférences réunissant des « spécialistes » (psychologues, professeurs et programmeurs) pour expliquer à quel point les jeux vidéo étaient merveilleux (11). Mais aussi sincères et rassurantes que soient leurs contributions, le fait qu’ils interviennent dans une conférence sponsorisée par Atari posait un sérieux problème de conflit d’intérêts. Ce n’était pas assez pour dissiper les craintes de collègues plus pessimistes, mais par contre c’était suffisant pour les accuser d’être « vendus » à l’industrie du jeu vidéo (12). Sans oublier le fait que les éditeurs et constructeurs ne se défendaient pas eux-mêmes, mais se « planquaient » derrière d’autres personnes.

En résumé : lors de la première vague de critiques contre le jeu vidéo, ses acteurs se sont certes défendus, aussi bien sur le plan scientifique que sur le plan médiatique (et accessoirement judiciaire) avec plus ou moins de bonheur. Mais il faut croire que leur défense n’a pas marqué les esprits, puisqu’elle est rarement évoquée de nos jours. En tout cas, l’image d’industrie multi-milliardaire, assoiffée de profit, kidnappeuse d’enfants et pourvoyeuse de produits violents et guerriers, était déjà établie pour longtemps.

Mortal Dékonfiture

Après le « Video Game Crash » de 1983-1984, Nintendo a contribué à remettre le jeu vidéo sur le devant de la scène, avec encore plus d’intensité qu’à l’époque d’Atari. Il était inévitable que les critiques reviennent de plus belle : apologie de la violence et de la guerre, enfants transformés en « Nintendo Zombies » (pour reprendre l’expression servant de titre à une émission de télévision d’Oprah Winfrey), etc… Circonstance aggravante : Nintendo était une compagnie japonaise aux pratiques monopolistiques. Sa réponse aux accusations consistait essentiellement à exhiber des études sur les bienfaits du jeu vidéo, notamment sur la coordination oeil-main (argument déjà développé lors de la précédente vague de critiques). Cette ligne de défense molle, similaire à celle d’Atari, ne pouvait pas faire disparaître les nombreuses inquiétudes (13).

Un tournant s’est produit en 1993 avec l’entrée en scène des politiques dans le débat sur la violence des jeux vidéo. Il faut dire que Mortal Kombat était sorti depuis peu, qu’il plaçait assez haut la barre de la violence graphique (pour l’époque), et que de nombreux enfants fascinés l’avaient réclamé à leurs parents… parmi eux, des députés et sénateurs américains. Certains d’entre eux voyaient déjà d’un mauvais oeil la violence au cinéma, à la télévision, et dans les paroles de chansons de rap, de rock ou de heavy metal. Et maintenant, voilà qu’elle débarquait dans les jeux vidéo, grâce à des jeux comme Mortal Kombat et Night Trap. Trop, c’était trop. Sous l’impulsion de Joe Lieberman, qui était « outragé » par ces jeux et qui souhaitait « bannir de tels titres en vertu de la Constitution », le Sénat a organisé un sommet dans le but de montrer à l’industrie du jeu vidéo qu’on ne plaisantait pas avec ces choses-là.

L’ennui, c’est qu’à ce moment-là, « l’industrie du jeu vidéo » n’était en fait qu’un ensemble désorganisé et désuni d’éditeurs, de constructeurs et de développeurs. Certes, beaucoup d’entre eux faisaient partie de la SPA (Software Publishers Association, dont l’un des membres éminents était Microsoft). Mais ils se sentaient un peu comme les moutons noirs de cette organisation. En effet, les éditeurs de logiciels « sérieux » qui la dirigeaient méprisaient le jeu vidéo, et ne considéraient pas ses éditeurs comme faisant véritablement partie de l’industrie de l’informatique.

De plus, quand Mortal Kombat est sorti simultanément sur les consoles de Nintendo (la SuperNES) et de Sega (la Megadrive), les premiers ont enlevé le sang et les effets gore afin de préserver leur image familiale, tandis que les seconds ont gardé la possibilité de débloquer ces scènes grâce à un « cheat code ». Et Night Trap, qui a fait un énorme scandale malgré le fait qu’il ne contienne ni sang ni sexe, était une production Sega. Howard Lincoln, PDG de Nintendo of America, n’a pas manqué cette occasion de se démarquer de son concurrent, d’une part en jouant les bons élèves auprès des sénateurs (il les avait déjà rencontrés avant que les audiences ne commencent, et il est même soupçonné d’avoir orchestré cette polémique), d’autre part en montrant du doigt ce cancre de Sega. Il s’est déclaré « concerné par la question de la violence, que ce soit dans les films, la télévision ou les jeux vidéo », et il a ajouté : « je veux préciser que Night Trap n’apparaîtra jamais sur une console Nintendo (…). Ce jeu qui (…) encourage la violence contre les femmes n’a tout simplement pas sa place dans notre société ». Il était par conséquent prévisible qu’il ait droit à un traitement de faveur de la part des sénateurs, tandis que Bill White, vice-président de la communication de Sega of America, s’est plutôt fait tirer les oreilles. Pour ne rien arranger, Lincoln et White se sont sautés à la gorge par témoignages interposés, sous les yeux médusés des sénateurs (14). Tom Zito, éditeur de Night Trap, s’est quant à lui présenté au Sénat pour défendre seul son jeu, et a vite réalisé qu’aucun de ses détracteurs n’avaient pris la peine de savoir ce qu’il y avait vraiment dedans.

Finalement, plutôt que de bannir les jeux incriminés, le Sénat a préféré lancer un avertissement aux éditeurs, les incitant à s’autoréguler s’ils ne voulaient pas subir une censure gouvernementale. « Faites le ménage dans votre industrie ou nous le ferons nous-mêmes », tel était leur message, et il fut reçu 5 sur 5. En effet, à la suite de ces audiences, les éditeurs ont vite compris qu’il était dans leur intérêt de s’unir et de parler d’une seule voix. Ils se sont donc regroupés sous la bannière de l’IDSA (Interactive Digital Software Association), à la tête de laquelle ils ont placé un lobbyiste de talent, Douglas Lowenstein. De plus, afin de calmer les ardeurs du Sénat, ils ont également créé un organisme et un système de classification des jeux vidéo, l’ESRB (Entertainment Software Rating Board).

Interlude autour d’une « liste noire »

Joe Lieberman a certes salué la création de l’ESRB, mais il n’a pas pour autant décoléré contre la prolifération de « jeux violents » engendrés par Mortal Kombat, puis Doom. En 1997, une organisation naissante de surveillance des médias, la NIMF (National Institute on Media and the Family, créée par le psychologue David Walsh), a envoyé un questionnaire aux éditeurs afin de « mesurer » la violence de leurs jeux. Suite aux réponses à ce questionnaire, Lieberman a dressé une « liste noire des pires jeux existants », qu’il a fustigés au cours d’une conférence de presse. Parmi eux, il était prévisible de trouver Doom ou Duke Nukem 3D. En revanche, il était beaucoup plus surprenant de trouver Warcraft 2, Mechwarrior, et Daggerfall (15). Ces jeux, en particulier le dernier, ont été comparés par Lieberman à « du charbon dans une cave – [ils sont] sombres, sales, et dangereux dans les mains de jeunes enfants » (16).

Christopher Weaver, l’un des créateurs de Daggerfall, a très mal pris de voir son jeu villipendé publiquement par quelqu’un qui ne savait manifestement pas de quoi il parlait. Il faut le comprendre : alors que lui et ses collègues se sont cassés la tête pour créer l’un des meilleurs jeux de rôles de son temps, d’une profondeur étonnante pour l’époque, voilà qu’un politicien l’attaque publiquement et le réduit à une production ultraviolente et immorale dont ils devraient avoir honte, et ce sans même avoir pris la peine de vérifier ses dires. C’en était trop pour Weaver, qui a décidé de traîner Lieberman et la NIMF devant les tribunaux, afin de ne pas « laisser [ses] droits se faire bafouer par ignorance ». Lieberman a utilisé son immunité parlementaire afin d’éviter le procès, et depuis il a continué à villipender les jeux « ultra-violents », mais en revanche il n’a plus parlé de Daggerfall et il a cessé de dresser des « listes noires » (17).

C’est sur ce cas (trop rare) d’un créateur de jeux qui ne se laisse pas faire et défend son honneur jusque devant les tribunaux que je clos cette première partie. Dans un prochain épisode, nous reviendrons sur l’année 1999, qu’on peut qualifier d’annus horribilis du jeu vidéo, à cause des nombreux évènements qui ont mis ce média à mal, en France comme aux Etats-Unis.

(1) Garin, « Bérenger au long Cul », traduit de l’ancien Français par Luciano Rossi dans : « Fabliaux érotiques« , Livre de Poche, Collection Lettres Gothiques, 1992.

(2) Toutes les citations de Ronnie Lamm sont extraites (et traduites par mes soins) de : William Geist, « The Battle for America’s Youth – Long Island Mother Takes on Video Games », New York Times, 5 janvier 1982.

(3) Dont Mesquite, au Texas. Voir : Peter Appelbome, « Mesquite, Tex., vs. ‘Evil Empire' », New York Times, 23 janvier 1982. Coïncidence amusante : les créateurs d’Id Software (Wolfenstein 3D, Doom, Quake…) sont originaires de Mesquite.

(4) C. Everett Koop est en effet le premier Secrétaire Général à la Santé qui a fait de la violence, non plus un simple problème judiciaire, mais un problème de santé publique. Cela inclut la violence domestique, mais aussi la violence des médias, particulièrement à la télévision.

(5) The C. Everett Koop Papers : http://profiles.nlm.nih.gov/QQ/

(6) C. Everett Koop, « Violence and Public Health », Delivered to the American Academy of Pediatrics, New York, 26 octobre 1982.

(7) C. Everett Koop, Clarification of remarks on video games and violence, 10 novembre 1982. Pour ma part, je trouve extrêmement curieux que cette déclaration (qui ressemble en fait à une rétractation) soit beaucoup moins rapportée que les remarques initiales de Koop, y compris par les « historiens » du jeu vidéo.

(8) The MacNeil/Lehrer Report, Pac-Man Perils (transcription), PBS, 29 décembre 1982.

(9) Dr. Koop : Video Games May Generate Violence, auteur inconnu, journal inconnu, 2 décembre 1982. Encore une fois, je trouve curieux, et dommage, que les répliques de Glenn Braswell à C. Everett Koop et Ronnie Lamm soient moins connues que les remarques et accusations de ces derniers.

(10) C. Everett Koop, « Family Violence: A Chronic Public Health Issue: Lecture to the Western Psychiatric Institute, Pittsburgh, Penssylvania [Reminiscence] », C. Everett Koop Papers, 2003. Koop explique bien comment ses remarques initiales, prononcées devant des pédiatres, n’ont pas fait de bruit alors que quand il les a réitérées devant un parterre de psychiatres, « la réponse de la presse a été extraordinaire, comme si j’avais dit quelque chose à laquelle personne n’avait pensé, ou que personne n’avait entendu auparavant ».

(11) On citera par exemple une conférence donnée à Harvard rapportée dans : Fox Butterfield, « Video Game Specialists Come To Harvard To Praise Pac-Man, Not To Bury Him », New York Times, 24 mai 1983.

(12) En témoigne une lettre adressée au New York Times en réponse à l’article précédent, écrite par Sylvia Orans et publiée le 5 juin 1983 sous le titre « Video Celebration of the Killer Instinct ». Tout un programme, si je puis dire…

(13) Pour plus de détails, lire l’ouvrage de référence sur le sujet, écrit par un journaliste généraliste : David Sheff, « Game Over : How Nintendo Zapped an American Industry, Captured Our Dollars and Enslaved Our Children », Random House, 1993. Ce livre a connu plusieurs rééditions, la dernière datant de 1999 et rebaptisée « Game Over : Press Start To Continue ».

(14) Pour plus de détails, lire un autre ouvrage de référence : Steven Kent, « The Ultimate History of Video Games », Three Rivers Press, 2001. Voir aussi : Daniel Ichbiah, « La Saga des Jeux Vidéo : de Pong à Lara Croft », Vuibert, 2004.

(15) En ce qui concerne Daggerfall, son concepteur en chef Ted Peterson a expliqué dans une interview comment ce jeu avait été placé sur « liste noire ». Un jour, il a reçu le questionnaire de la NIMF, leur demandant par exemple si le jeu permettait de « commettre des actes illégaux » et « récompensait » le joueur pour de tels actes. La réponse à toutes ces questions était « oui », ce qui a valu à Daggerfall d’être l’un des pires jeux de cette « liste noire ». Pourtant, ce questionnaire était biaisé parce qu’il ne tenait aucun compte du contexte. En effet, Daggerfall est un jeu de rôles médiéval-fantastique autorisant le joueur à devenir à peu près qui il veut, aller où il veut et faire ce qu’il veut. Ce qui signifie embrasser une carrière de combattant, de magicien, de prêtre ou de barde, mais aussi de voleur ou d’assassin s’il le désire. Cela dit, s’il veut devenir voleur ou assassin, ce sera à ses risques et périls puisque ces actes sont interdits et réprimés par la loi en vigueur sur le territoire du jeu. Si « récompense » il y a, elle provient en fait des guildes de voleurs et d’assassins auxquelles le joueur peut adhérer. De plus, Daggerfall ne se distingue vraiment pas par sa violence : quelques combats dont le nombre et le déroulement dépendent fortement de la manière de jouer, quelques gouttes rouges grossièrement dessinées quand on donne des coups, et quelques bouillies de pixels censées représenter des cadavres quand le combat est terminé.

(16) Pour en savoir plus sur cette affaire, voir : Daniel Greenberg, ‘Government Report 97 : Impact on Game Developers », Gamasutra, 1997. En ce qui concerne la référence au charbon, l’expression exacte est « coal in the stocking ». Or, il faut savoir que le charbon a une signification particulière dans la tradition américaine de Noël. En effet, si les enfants sages reçoivent des cadeaux, on dit souvent aux autres, ceux qui ont été désobéissants, qu’ils n’auront droit qu’à du charbon en guise de punition pour leur comportement.

(17) Christopher Weaver, « The Folly of Office Massacre », Next Generation, 31 mars 2006. L’article n’est malheureusement plus disponible en ligne, étant donné que Next Generation s’est fait racheter par The Edge.

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est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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7 commentaires »

  1. La violence dans les jeux vidéo, c’est un débat éternel, je suis d’accord avec toi quand tu évoques la défense molle de la part des éditeurs et le rôle de Nintendo [qui dans un sens, est celui qui se débrouille le mieux dans les manoeuvres commerciales, preuve est faite hélàs de la déclinaison de la wii… Epoque sombre qu’aujourd’hui pour un éditeur que je continue pourtant à apprécier] et sérieusement, j’ai l’impression que cela sera sans fin.

    Un exemple, Manhunt est le type de jeu qui ferait crier ces associations, dans un sens, ils n’ont pas tort, ce genre de contenu n’est pas à donner à tout le monde [les fait divers sont hélàs assez criants, les gamins sont parfois vraiment influencés, rarement, mais ça existe] mais dans l’autre, ce n’est qu’une expérience, comment ces associations qui imbibent leurs enfants d’une religion volontairement réductrice envers les femmes, détruisant une bonne image masculine [L’homme dominateur, c’est rabaissant à mon goût pour les mâles justement] peuvent-elles se permettre de juger les jeux vidéo, surtout qu’on voit à leurs déclarations qu’ils n’y ont que rarement joué, voir jamais joué, avant de les critiquer.

    Le problème est que cela rend frileux les éditeurs, j’espère qu’un jour, un journaliste va se lever et crier « non » à ces gens-là… Je pense que ça vient dans cette voie, quand je vois justement certains journalistes de maintenant, je me dis que si des professionnels le disent à haute voix, on donnera un coup de pied à ces personnes à la langue de vipère et ça freinera leur calomnie.

    Mais je rêve peut-être, excellent article, j’attend la suite.

  2. Je salue également l’endurance manuscrite et le souci référentiel de l’auteur. M. Fenton, quand trouvez-vous le temps de jouer ?

  3. @PatrickRoy : bonne question, je me la pose tout le temps :)

    @Nevran (je me suis permis de corriger quelques petites fautes) : quand tu évoques « ces associations qui imbibent leurs enfants d’une religion » particulière, j’ai peur qu’il faille nuancer.

    Il est vrai que Jack Thompson, par exemple, est un chrétien « born again » proche de la droite conservatrice américaine, il n’en a jamais fait mystère. Mais à mon avis, les gens comme lui sont minoritaires parmi les détracteurs des jeux vidéo. En fait, la plupart des détracteurs les plus virulents que je connaisse se recrutent à gauche, voire à l’extrême-gauche. Si tu veux des exemples, va voir le site d’Horizons et Débats (un journal suisse proche des écologistes, pacifistes et altermondialistes), tape « jeux vidéo » et « jeux de tueur » dans leur moteur de recherche, et lis les articles. Tu m’en diras des nouvelles.

    En fait, on ne peut pas mettre leurs critiques systématiquement sur le compte de la religion (chrétienne, en l’occurence) ou de convictions politiques « de droite ». D’une part, parce que ce serait un procès d’intention. Et d’autre part, parce que ces critiques transcendent largement les clivages politiques et religieux.

  4. J’aime le raisonnement de la dame sur les salles d’arcade.

    « Il n’y a que les voyous qui fréquentent ces salles »

    On devine que si elle le dit, c’est parce qu’elle n’est pas contente que ses enfants fréquentent ces salles. On déduit donc de l’hypothèse de départ que ses enfants sont des voyous (et l’étaient déjà avant d’aller dans les salles en question).

    Eh bien si ses enfants sont des voyous, elle devrait regarder un peu qui est la conne qui les a éduqués.

  5. Excellent article, comme souvent…
    Malheureusement tu prêches des convaincus!Je pense que c’est cela le handicap majeur des afficionados qui souhaitent rendre au jeu vidéo sa « juste image »: soit ils tiennent des discours passionnés auprès d’un auditoire qui ne l’est pas moins, et ça reste de l’ordre de l’autosatisfecit (presque sectaire pour les détracteurs, si si)…
    Soit ils partent en croisade contre les masses bien pensantes, le main stream culturo-éducatif bon tein; et la goutte d’eau de leurs arguments se dilue dans l’océan de propagande et d’idées préconçues de la partie adverse.
    Comme tu le soulignes dans ton article, ce sont les acteurs de monde du JV qui devraient soutenir cette réhab du jeu, mais on n’entend les éditeurs et autres producteurs que lorsqu’il s’agit d’énumérer les millions de dollars générés par un titre, où le nombre de ventes de galettes le week end de lancement.

    On sait tous ici que, comme les autres médias, le JV est devenu un business avant tout. Que les mini scandales sont plus des coups de pub (GTA4, Manhunt 2, Postal fût un temps) que de vraies menaces, car les jeux finissent par sortir. Du business.
    Mais pour moi c’est un mal pour un bien, car c’est certainement ce qui a sauvé le JV … Faute de rentabilité, plus de nouveautés. Si les constructeurs ont ponctionné leurs budgets dans d’autres branches pour alimenter leur division jeux vidéos (hardware), c’est qu’ils étaient conscients de la demande, et prêts à la satisfaire. Et moi qui ne joue pas du tout sur PC (même pas au solitaire, rien), je suis content que les constructeurs aient continué le développement de nouvelles consoles, parfois à perte, parfois en me tondant la laine sur le dos.
    Et si la Wii, tellement décriée des hardcore, redore un peu l’image du jeu video auprès du grand public, moi ca ne me dérange pas. Quand un sénateur aura un handicap au golf sur wii sports et se vantera de battre son petit fils à la console, peut-être que c’est son regard sur l’ensemble du JV qui changera -un peu-.
    Bonne journée à tous

  6. @ Viiincent :

    Malheureusement tu prêches des convaincus!Je pense que c’est cela le handicap majeur des afficionados qui souhaitent rendre au jeu vidéo sa “juste image”: soit ils tiennent des discours passionnés auprès d’un auditoire qui ne l’est pas moins, et ça reste de l’ordre de l’autosatisfecit (presque sectaire pour les détracteurs, si si)…

    C’est un risque, en effet. Et c’est pour ça que j’essaie d’écrire des articles lisibles par tous et accessibles à n’importe quel type d’auditoire, joueur ou pas.

    Soit ils partent en croisade contre les masses bien pensantes, le main stream culturo-éducatif bon tein; et la goutte d’eau de leurs arguments se dilue dans l’océan de propagande et d’idées préconçues de la partie adverse.

    A ceci près que des idées préconçues, « nous » aussi on en a, et à la pelle. De plus, je suis persuadé que si on se fait aplatir très souvent par « la partie adverse », c’est parce qu’on ne sait presque rien d’elle. Sauf quand il est trop tard.

    Par exemple, Jack Thompson n’est devenu une superstar chez les gamers que depuis 2005, mais il était actif (et nuisible) depuis 1999. D’ici là, il a eu le temps de se faire connaître du grand public, et de gagner une réputation d’avocat courageux qui bataille contre la toute-puissante « industrie du jeu vidéo ».

    Quand un sénateur aura un handicap au golf sur wii sports et se vantera de battre son petit fils à la console, peut-être que c’est son regard sur l’ensemble du JV qui changera -un peu-.

    Je suis loin d’être aussi optimiste. Parce que justement, quel est le regard que beaucoup de détracteurs portent sur les jeux vidéo ? D’un côté, bien sûr, les « jeux ultraviolents » qu’ils vouent aux gémonies, parfois sans les avoir vus. Mais aussi, de l’autre côté, les « jeux non-violents » contre lesquels ils n’ont pas de problème. Ils en parlent beaucoup moins, mais ils sont capables de lâcher une petite phrase de circonstance, du genre « bien sûr, il y a des jeux très bien, mais il y a également des jeux répugnants » et c’est parti pour un tour. Même Hillary Clinton l’a fait, pendant la polémique autour de GTA San Andreas.

    Donc, la Wii ne risque pas de remettre en cause leur regard en noir et blanc, puisque ce genre de jeux leur servait déjà de paravent pour leurs croisades. La différence, c’est que maintenant que tout le monde connaît la Wii, ils vont pouvoir la citer nommément pour mieux cautionner leurs conneries. Du genre : « il faut interdire ces jeux, on peut y violer des petites filles, ils sont ignobles… tout le contraire de Wii Fit, qui lui est très bien, et sur lequel je passe tout mon temps, d’ailleurs il faudrait que tous les jeux ressemblent à ça ».

    Un seul exemple : Dan Isett, du Parent Television Council. Il a beuglé contre GTA IV en racontant n’importe quoi (du genre : on gagne des points en conduisant bourré), mais attention, hein, il adore les jeux vidéo, d’ailleurs il a une Wii.

    Bonne journée à toi (enfin bonne nuit, parce qu’il faut que j’aille pioncer, là…).

  7. J’ai fait une mise à jour importante sur la première partie, en incluant notamment la controverse autour des propos restés célèbres de C. Everett Koop, à l’époque Secrétaire Général à la Santé, qui reprochait aux jeux vidéo de « ne pas être constructifs ».

    Initialement, je n’en avais pas parlé, parce qu’il avait rapidement rectifié ces propos, et je pensais que les constructeurs et éditeurs de jeux n’avaient pas eu le temps (ou la volonté) de réagir. Je me suis lourdement trompé. De même que je me suis trompé quand j’ai cru que les industriels n’ont pas réagi. En fait, ils ont répliqué, mais on s’en souvient beaucoup moins, et je trouve ça dommage.

    En revanche, je ne compte pas parler du scandale autour de Custer’s Revenge, parce que je ne crois pas qu’on s’en soit servi à l’époque pour discréditer les jeux vidéo ou son industrie dans leur ensemble. En tout cas, je n’ai rien lu de tel, même si les détracteurs du jeu ont attaqué Atari parce qu’ils ne faisaient pas la différence entre ceux qui fabriquaient la console et ceux qui produisaient les cartouches.

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