Le grand jeu des commentaires à la con 2.0 (spécial « art, culture et détracteurs »)
Par Shane Fenton • le 1/10/2017 • Entre nous •Il y a 5 ans, je proposais ici-même un petit jeu dont le principe était, pour chaque article portant sur la violence vidéoludique, de prédire (au moyen de la grille de bingo appropriée) les commentaires et arguments « à la con » qui ne manqueraient pas de fleurir en bas de l’article, ou dans les forums de discussion consacrés, ou dans des contre-articles écrits par des joueurs en colère.
En effet, j’étais de plus en plus consterné par l’attitude défensive, épidermique, de mes congénères, qui se sentaient obligés de monter au créneau à la moindre évocation négative de leur loisir, et de répliquer en masse, en reproduisant systématiquement les mêmes poncifs, les mêmes lieux communs. C’était déjà pénible contre des détracteurs « extérieurs », d’autant que le contexte ne s’y prêtait plus. Mais le comble du ridicule était atteint quand ce réflexe de meute était dirigé contre les « nôtres », c’est-à-dire des journalistes et blogueurs spécialisés dont les réserves contre tel ou tel aspect gênant du jeu vidéo étaient pourtant légitimes. Force est de constater que 5 ans plus tard, les choses n’ont pas changé : « le monde du jeu vidéo vit depuis deux décennies avec le complexe du persécuté », comme l’écrit William Audureau. Il en résulte que la moindre mise en cause, la moindre critique fût-elle insignifiante, s’expose systématiquement à une levée massive de boucliers, où la « pensée-bouton » tient lieu d’argumentation.
Toutefois, il serait injuste d’en déduire que les « gamers en colère » ont le monopole du réflexe automatique et du déballage de clichés. Après tout, ce ne sont pas eux qui ont commencé : pendant des années, des décennies même, la grande majorité du monde politique et médiatique n’avait que mépris, suspiscion et hostilité pour le jeu vidéo, et n’hésitait jamais à le faire savoir publiquement. Sur ce point, les choses ont heureusement bien changé, et les portes finissent par s’ouvrir les unes après les autres. Celles des journaux généralistes, qui se sont dotés de solides rubriques spécialisées. Celles des lieux de culture comme le Grand Palais. Celles, enfin, de la Politique, avec l’obtention de crédits d’impôt, la reconnaissance officielle de l’eSport, et l’adoubement de plusieurs Ministres de la Culture, parmi lesquels Renaud Donnedieu de Vabres, Fleur Pellerin, et plus récemment Françoise Nyssen.
Jusqu’en haut lieu, donc, la question se pose de savoir si le jeu vidéo relève de l’Art et de la Culture. Tout le monde n’est pas d’accord sur la réponse, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Des voix diverses et éparses s’élèvent contre une telle reconnaissance, y compris dans les commentaires d’articles qui y sont favorables, ce qui n’est pas un problème en soi. Là où ça devient problématique, et même lassant, c’est quand on décortique leur « argumentation » et qu’on réalise au bout du compte que de tels articles et initiatives favorables constituent immanquablement un appeau à trolls, à beaufs, et à chefs d’escadrille à la Audiard. On les reconnaît à ceci qu’ils osent tous les raccourcis, tous les clichés, tous les préjugés restés intacts depuis près d’un quart de siècle. Dans le fond, rien de bien méchant, et rien de bien dangereux, d’autant qu’ils sont très peu nombreux et dépourvus d’influence réelle. Mais ils arrivent néanmoins à maintenir une présence suffisamment irritante pour qu’on éprouve le besoin de leur répondre, non seulement dans les zones de commentaires qu’ils polluent à répétition, mais aussi par le biais d’articles complets. En effet, les préjugés qu’ils régurgitent sont encore partagés par une fraction non négligeable de la population (nous avons tous des exemples dans notre entourage). Le souvenir de l’époque où ces préjugés étaient étalés à la une des journaux est encore cuisant. Et comme les discussions sur tel ou tel aspect du loisir dégénèrent souvent en guerre de tranchée « pour ou contre » le loisir tout entier, les clichés brandis pour refuser au jeu vidéo le statut d’Art servent en fait à lui dénier toute valeur quelle qu’elle soit.
Pour ma part, leur capacité à m’irriter valait bien une grille de bingo. Histoire de m’amuser à leurs dépens, et pourquoi pas, de leur faire entendre qu’après un quart de siècle à tourner les mêmes poncifs en boucle, ils devraient peut-être changer de disque.
Cela dit, comme la dernière fois,un petit préambule est nécessaire :
Avant de rentrer dans les détails, je me permets une petite précision : quand je parle de « commentaire à la con », je ne sous-entends pas que tout est faux dedans. Il arrive que les lieux communs renferment une part de vérité. Et certains arguments employés pourraient éventuellement être pertinents dans un autre contexte. Le gros problème, c’est la manière, systématique et automatique, dont ils sont employés. C’est ce qu’on appelle la « pensée bouton » (ou, vestige des temps anciens, la « pensée gramophone ») : plutôt que de lire sérieusement l’article, et de prendre la peine de réfléchir à des arguments originaux, on appuie sur le bouton, et hop ! la machine à poncifs se met en marche.
Encore une fois, le problème ici n’est pas d’affirmer que le jeu vidéo n’a rien à voir avec l’art ou la culture (pour peu que cette position s’appuie sur une argumentation solide, je suis prêt à la prendre en considération, même si je pense le contraire : ça fait partie de la discussion). Par ailleurs, beaucoup de lieux communs évoqués ici paraîtront, tantôt comme des vérités, tantôt comme des conseils de bon sens. Qui nierait la dimension commerciale du jeu vidéo, notamment à travers les productions dites « AAA » ? Qui irait prétendre qu’il n’y a aucun problème de violence, d’immaturité ou de pratiques excessives dans ce loisir ? Qui contesterait la nécessité de ne pas avoir tout le temps les yeux rivés sur un écran, et de s’aérer un peu la tête et l’esprit ? A ma connaissance, personne. Mais quand ces « vérités » sont assénées en mode automatique sans tenir compte du contexte ni de l’interlocuteur, non pas comme des pistes de réflexion mais comme des sentences définitives, c’est là qu’elles se transforment en lieux communs. Quand on réduit la conversation à ces seules « vérités » devenues formules incantatoires, elles ne nourrissent plus la conversation, mais elles l’assèchent. Elles donnent l’illusion à celui qui les profère qu’il peut se dispenser de réfléchir plus avant. Ce faisant, il croit tout savoir alors qu’il n’a rien compris (eh non, le jeu vidéo ne se résume ni au divertissement, ni au business des grosses compagnies et des « AAA », ni à l’ultra-violence, ni à l’infantilisme).
Les choses sont désormais claires. A présent, place au jeu :
Le principe reste le même qu’il ya 5 ans, du coup je vais reproduire fidèlement les règles édictées à l’époque, à deux ou trois modifications près :
A chaque fois qu’un article ou un post de blog paraît sur la valeur artistique ou culturelle des jeux vidéo, vous prenez la grille ci-dessus (bien entendu, n’oubliez pas de cliquer sur l’image pour l’avoir en entier), vous prenez toutes les cases de la grille et des sous-grilles associées, et vous essayez de prédire leur apparition dans les réponses à l’article. Le gagnant est celui qui, au bout d’un certain temps (une semaine, par exemple), aura prédit avec succès le plus de commentaires à la con. J’ai mis à votre disposition plusieurs moyens d’évaluer ces prédictions.
Niveau de difficulté : Madame Irma. Il suffit de cocher les cases dont vous êtes sûr qu’elles apparaîtront. Chaque commentaire à la con que vous avez coché qui a effectivement été utilisé au moins une fois vaudra +1. Le gagnant est celui qui aura le score le plus élevé.
Niveau de difficulté : Madame Soleil. Afin corser le jeu, les cases cochées à tort (un commentaire à la con qui n’a pas été utilisé) vaudront -1, et les cases non cochées alors qu’elles auraient dû l’être vaudront -0.5. A vous de voir si le score minimum est de zéro, ou si vous autorisez les scores négatifs (pour l’anecdote, j’ai déjà donné en examen des QCM avec ce barème. C’était… particulier).
Niveau de difficulté : Elizabeth Teissier. Cette fois, il ne faut plus se contenter de cocher les cases, mais de leur attribuer un numéro qui représente le nombre de fois où chaque commentaire à la con sera utilisé (pour un seul et même article, toujours). Cette fois, le score est calculé en fonction du nombre d’apparitions de ces commentaires. Exemple : si 15 personnes affirment que le jeu vidéo ne peut pas être de l’art parce que justement il est jeu (sous toutes ses formes : « dans jeu vidéo il y a jeu », « un jeu ne peut pas être de l’art » etc…), que 10 personnes affirment que c’est une sous-culture qui s’adresse à un public d’abrutis, et qu’aucun autre commentaire à la con n’est utilisé (peu probable : la plupart du temps ils sont livrés en formule tout compris) le score maximal à atteindre est de 25. Le gagnant est donc celui qui s’en rapprochera le plus.
Niveau de difficulté : Nostradamus. Le numéro n’est plus le nombre d’occurrences du commentaire à la con, mais le pourcentage d’apparitions. L’avantage est qu’on n’a plus à spéculer sur le nombre de commentaires que va générer l’article, mais qu’on va pouvoir calculer le poids de chaque « argument à la con ». Prenons un exemple : 15 références au business du jeu vidéo et à son côté commercial + 10 références à l’absence d’effort pour un total de 20 messages (on l’a compris, certains peuvent avoir recours aux deux « arguments » à la fois). Il faut avoir donné à la case « business » un poids de 75% (15 * 100 / 20), et à la case « absence d’effort » un poids de 50%. Pour calculer le score de chaque joueur, par contre, j’ai recours aux scores négatifs. En gros, si le joueur a donné à la case « business » un poids de 50%, à la case « absence d’efforts » le poids correct de 50%, et à la case « drogue dure » un poids de 30%, son score sera de -25 (c’est-à-dire 25% en moins de ce qui est prévu) + 0 (poids correct) – 30 (c’est-à-dire 30% en trop par rapport à ce qui est prévu) = -55. Le gagnant est donc celui qui est le plus proche de zéro.
Sur ce, amusons-nous avec nos contempteurs, ils nous doivent bien ça !
Tags: anti-jeu, Anti-jeux vidéo, Art, Bingo, Clichés, Culture, Détracteurs, Grille de bingo, Jeu des commentaires à la con, Lieux communs, PoncifsShane Fenton est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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