Juste une gigue en do… (politique politicienne, le retour)
Par Shane Fenton • le 1/1/2008 • Entre nous •Dans mon précédent article sur la loi « anti-jeux violents » de l’état de Louisiane, j’ai commencé à vous parler des méthodes parfois déloyales utilisées par certains politiciens américains pour justifier une législation sur la vente de « jeux violents » aux mineurs. On a vu à l’occasion que certains critiques de la violence des jeux vidéo sont tellement fâchés contre elle qu’ils finissent du même coup par se fâcher avec l’honnêteté intellectuelle. Dans le genre, le député de Louisiane Roy Burrell a fait très fort (Jack Thompson aussi, mais avec lui, on a l’habitude, c’est comme une seconde nature). On peut également citer Mike Hatch, qui à l’époque où il était procureur général du Minnesota, a défendu une loi du même tonneau en parlant de ces « jeux vidéo répugnants qui montrent des scènes de massacre de bébés et d’animaux, d’urine et de défécation, de viol, de décapitation, de démembrement ». Dans le même état et pour justifier la même loi, la sénatrice Sandy Pappas n’a pas hésité à déclarer que l’on « marque des points (dans les jeux vidéo) pour le nombre de femmes qu’on viole et le nombre de policiers qu’on tue ». Plus généralement, on peut évoquer tous ceux qui, de Night Trap à Rule of Rose, ont stigmatisé certains jeux sans jamais prendre la peine de savoir si c’était justifié ou non. Sans aller jusqu’à leur demander de jouer à ces jeux, ils pourraient au moins en voir une démonstration, ou au minimum lire les tests et regarder quelques vidéos in-game, juste histoire de voir si le contenu qui les chiffonne tant y est vraiment.
Mais au-delà de cette fâcherie avec l’honnêteté et la vérité, il y a également un autre problème, celui de la perception des jeux vidéo par ces mêmes politiciens américains. J’en parlais déjà un peu dans un précédent article, mais je crains que ce soit encore pire que ce que je pensais…
Il y a quelques semaines, le Département de Justice Criminelle de l’état de New York, sous la houlette du gouverneur Eliot Spitzer (qui avait récemment essayé de faire passer sa propre loi), a publié une présentation vidéo de 20 minutes destinée à éduquer les parents sur les dangers potentiels des « jeux violents ». Comme GamePolitics en a déjà parlé, en listant les nombreuses erreurs et incohérences qui font de cette vidéo un véritable bêtisier, je ne m’étendrai pas trop là-dessus. Pas plus que je ne m’étendrai sur le fait que cette présentation avait initialement cité en référence un site satirique parodiant les pires inepties anti-jeux, avant qu’une nouvelle version de la vidéo ne soit proposée sans cette référence. Cela dit, quand on voit que ce site satirique, aussi outrancier soit-il, a pendant un temps été considéré comme une source d’information sérieuse par les auteurs de cette présentation, ça vous donne une indication sur leur perception du jeu vidéo. Justement, j’y viens.
A un moment de la présentation (au bout de 11 minutes à peu près), nous avons droit à un bref aperçu de « l’histoire des jeux vidéo ». On commence donc par Pong, histoire de rappeler que « les jeux vidéo n’étaient pas toujours violents ». Bon, pourquoi pas. Vient ensuite le premier « jeu violent » de l’histoire, Death Race 2000 en 1976, tiré du film du même nom avec Sylvester Stallone et David Carradine. Après quoi on nous parle des jeux suivants : Double Dragon et Mortal Kombat, puis Wolfenstein 3D, puis Doom, puis Soldier of Fortune, pour finir avec Bully (a.k.a. Canis Canem Edit). Voilà. Fin du récapitulatif… euh… attendez, c’est tout ? C’est ça, « l’histoire des jeux vidéo » selon les bureaucrates new-yorkais ? Ce ne serait pas plutôt « les jeux vidéo violents » ? Ah ben non, ça, c’est la section suivante, celle qui décortique leurs effets supposés (en montrant une vidéo d’un des Hitman ou le joueur tire sur tout le monde).
Oui, vous avez bien lu : selon les auteurs de cette présentation (qui je le rappelle est censée éduquer les parents américains afin qu’ils fassent les bons choix dans leurs achats), « l’histoire des jeux vidéo » se résume aux 8 titres que je viens de citer.
Alors certes, en faisant preuve d’indulgence, on peut penser que ce que voulaient faire les auteurs de la présentation, c’était juste un récapitulatif des « jeux violents », et pas des jeux vidéo en général. D’ailleurs, cette liste ressemble à celle dressée, en tant « qu’histoire des jeux violents » cette fois, par les psychologues Craig Anderson, Douglas Gentile et al pour leur livre Violent Video Game Effects on Children and Adolescents (un livre que, soit dit en passant, je recommande pour connaître et comprendre la base scientifique des critiques contre les « jeux violents »). Seulement voilà, il y a le bandeau « Video game history » bien en évidence sur la vidéo. Et quand je regarde le reste de cette présentation, que je préfère plutôt qualifier de bavure, je n’ai pas envie d’être indulgent. D’ailleurs, quand on connaît la tendance, encore trop présente chez les médias généralistes et les hommes politiques, à considérer la violence et l’addiction (et à la rigueur les affaires de gros sous) comme les seuls aspects du jeu vidéo qui soient dignes d’intérêt, quelque chose me dit que pour les auteurs de la présentation, l’histoire des jeux vidéo se résume effectivement à ça.
Maintenant, examinons le message envoyé à ceux qui auront regardé cette présentation-bavure.
En ce qui concerne les non-joueurs, en particulier les parents qui ne connaissent rien aux jeux vidéo (il y en a tout de même un certain nombre) mais qui en achètent à leurs enfants pour diverses raisons, cette si exhaustive « histoire des jeux vidéo » ne va sûrement pas leur donner envie de s’y mettre ! Et elle va encore moins les rassurer sur ce qu’ils achètent à leurs proches ou à leur progéniture.
En ce qui concerne les enfants et adolescents qui regarderont cette présentation (même si elle ne leur est pas destinée), le message sera entendu 5 sur 5 : les seuls jeux vidéo qui valent le coup, ce sont les plus glauques et les plus violents. D’ailleurs, ce sont les seuls qui retiennent l’attention des adultes qu’ils voient à la télé. Allez leur parler, après ça, de retro-gaming, ou de jeux de stratégie, de réflexion…
En ce qui concerne les éditeurs ou développeurs de jeux vidéo, le message sera très clair, une fois encore : pourquoi se casser la tête à rechercher la richesse, la profondeur ou l’originalité, quand tout ce qui intéressent vos représentants, c’est la violence, la violence et encore la violence ? A ceux en particulier qui travaillent dans l’industrie : pourquoi engloutir des sommes énormes à créer des Shenmue, des Okami ou des Heroes of Might and Magic, alors que tout ce qui les intéresse, c’est Soldier of Fortune et Grand Theft Auto ? Et à ceux qui créent des jeux indépendants dans leur coin et qui produisent parfois du génie avec des bouts de ficelle : pourquoi vous crever à créer des Mount and Blade ou des Battle for Wesnoth quand tout ce qui retient leur attention, c’est V-Tech Rampage (notez en effet la place qu’il prend dans la présentation) ?
Enfin, ce qui concerne les joueurs de tous âges, à qui on reproche de plus en plus (parfois à juste titre) de s’emporter trop vite, de trop se laisser aller à la rancoeur et à l’aigreur violente, cette vidéo-bavure les apaisera autant que les épinards peuvent apaiser Popeye. Et je ne pourrai pas leur en vouloir si leurs sentiments font écho à ce refrain d’une chanson de Soldat Louis, qui m’a inspiré le titre de cet article, et avec lequel je le conclus :
« Escrocs, pourris, bons à rien
Vous qui rêvez d’être des gens biens
Devenez la Rolls du citoyen
Devenez politiciens »
PS : bonne année 2008, quand même ! ;)
Tags: jeux violents, legislation, Mike Hatch, New York, Roy Burrell, Sandy Pappas, violenceShane Fenton est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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ces “jeux vidéo répugnants qui montrent des scènes de massacre de bébés et d’animaux, d’urine et de défécation, de viol, de décapitation, de démembrement”.
Il doit parler de Postal 2. Et encore, même Postal 2 ne permet pas tout ça.
“marque des points (dans les jeux vidéo) pour le nombre de femmes qu’on viole
Tu crois qu’elle parle de Custer’s Revenge ? :D
Le lien vers la vidéo de 20 minutes semble mort :(
Tu crois qu’elle parle de Custer’s Revenge ? :D
Après ce que je viens de lire, c’est possible :
« (…) The pornographic video game « Custer’s Revenge » generated many gang rapes of Native American women. In the game, men try to capture a « squaw, » tie her to a tree, and rape her. In the sexually explicit game, the penis goes in and out, in and out. One victim of the « game » said: « When I was first asked to testify I resisted some because the memories are so painful and so recent. I am here because of my four-year-old daughter and other Indian children. . . . I was attacked by two white men and from the beginning they let me know they hated my people . . . And they let me know that the rape of a ‘squaw’ by white men was practically honored by white society. In fact, it had been made into a video game called ‘Custer’s Last Stand’ [sic]. They held me down and as one was running the tip of his knife across my face and throat he said, ‘Do you want to play Custer’s Last Stand ? It’s great, you lose but you don’t care, do you? You like a little pain, don’t you, squaw?’ They both laughed and then he said, ‘There is a lot of cock in Custer’s Last Stand. You should be grateful, squaw, that All-American boys like us want you. Maybe we will tie you to a tree and start a fire around you. (…) »‘
Sans oublier une mention tirée d’une conférence de 2005 sur la pornographie et le proxénétisme : « the video game « Custer’s Revenge » in which players score points for raping American Indian women ».
Je savais que ce jeu avait provoqué un scandale, mais je ne savais pas que c’était à ce point, et que des années plus tard on en parlerait encore en ces termes. Et surtout, je n’aurais jamais pensé que ce petit jeu ridicule serait rendu responsable de viols, en particulier de viols collectifs à caractère raciste !
Selon les révélations de plusieurs journaux, qui ont relayé une enquête du FBI, le si vertueux Gouverneur Spitzer était client d’un réseau international de prostitution. Il a depuis « présenté ses excuses ».
Personnellement, je me fous pas mal qu’il ait voulu se payer les services d’une prostituée (je me demande s’il existe un seul pays où aucun homme politique ne fait pareil). Mais que dans le même temps il essaie de légiférer sur les jeux « violents » et « sexuellement explicite », ça ne manque pas de sel, et il est inévitable que les gamers en fassent leurs choux gras (d’ailleurs, j’ai appris l’histoire sur GamePolitics). Malgré tout, je suis d’accord avec lui sur un point : il est effectivement dommage de « simuler une scène de sexe avec une prostituée » dans GTA ou ailleurs, quand on peut s’en payer une dans la vraie vie. L’expérience réelle, c’est tellement mieux.
Oui enfin, l’expérience réelle c’est quand même mieux sans payer hein, en se trouvant une copine :D
Oui, tutafait (cela dit, il avait déjà une femme, et ça ne lui a pas suffi).