Les jeux vidéo ne rendent effectivement pas violent
Par Shane Fenton • le 1/7/2011 • Entre nous •J’ai découvert Michel Desmurget par le biais de son ouvrage TV Lobotomie, la vérité sur les effets scientifiques de la télévision, paru cette année aux éditions Max Milo. Le titre parle de lui-même, et j’invite les lecteurs, non seulement à l’acheter, mais aussi à consulter la revue de presse sur le site de l’éditeur, puisque c’est la seule synthèse en français que je connaisse sur les études scientifiques parues au sujet de la télévision (un ouvrage comparable en langue anglaise serait Remotely Controlled : How Television Is Damaging Our Lives d’Aric Sigman, paru en 2005). Le moins qu’on puisse dire est que l’auteur y va fort, non seulement contre la télévision, mais aussi contre certains intervenants sur le sujet, qualifiés de « pipeaulogues », notamment Michaël Stora et Serge Tisseron qui sont bien connus de nos services. Un détail qui m’a marqué (parmi beaucoup d’autres, évidemment) est que le livre ne s’en prend jamais aux jeux vidéo, « violents » ou pas, contrairement à de nombreux ouvrages à charge contre la télévision (1). A la lecture de deux articles, un paru dans Le Monde, et un autre paru dans Le Nouvel Observateur qui m’inspire cette réponse, il faut croire que l’oubli est réparé.
Beaucoup de bruit pour « rien »
Petit rappel pour ceux qui n’auraient pas suivi. Tout commence par un drame : la mort d’une fille de 13 ans, tabassée par un apprenti boxeur de 14 ans à la sortie de son collège. En réaction, Nadine Morano a notamment déclaré sur I-télé : « Il y a une augmentation de l’ultra-violence, il faut se demander pourquoi, au regard de l’éducation au regard de notre société avec le développement de certains films très violents ou de certains jeux vidéo. » Yann Leroux (lui aussi, bien connu de nos services, et qui a d’ailleurs effectué sa thèse sous la direction de Serge Tisseron) a répliqué dans une interview au Nouvel Observateur, ce qui lui a valu à son tour une réponse, toujours dans le Nouvel Obs, de Michel Desmurget et du pédopsychiatre Bruno Harlé.
Je n’ai pas spécialement l’intention de m’immiscer dans cette polémique. D’ailleurs, j’estime pour commencer qu’il n’y avait pas matière à polémique. J’ai beau relire les propos de Nadine Morano, je n’y vois rien de choquant ni de remarquable, et je suis prêt à parier ma chemise qu’ils seraient passés inaperçus si ce n’était pas Nadine Morano qui les avait eus. Il faudrait tout de même s’interroger sur le culte imbécile dont elle fait l’objet auprès des joueurs français, tout ça pour deux ou trois pauvres petites déclarations du même acabit, dont aucune n’a été suivie d’effets. Je veux bien croire que Nadine Morano a un poids politique, après tout elle est Ministre de l’Apprentissage. Mais pour ce qui est du débat sur la violence des jeux vidéo, je ne la connais pas, elle n’est personne. Et elle le restera tant qu’elle continuera à aligner les platitudes et qu’il n’y aura aucune action concrète derrière. Une dernière précision avant de passer à autre chose, parce que j’ai hâte d’en finir avec elle : j’entends par « platitudes » des propos qui ne sont pas forcément faux ou absurdes, mais qui ne mangent pas de pain et n’apportent aucun élément nouveau, en plus d’être sans lendemain. En tout cas, des propos qui ne méritent pas tout un barouf. Parce que franchement, vous pouvez me dire ce qui vous scandalise quand elle affirme que GTA IV est un jeu « violent » et « amoral » ? Et en mettant de côté la question de l’exploitation politicienne d’un fait divers, vous pouvez me dire ce qu’il y a d’extravagant à se demander et seulement se demander si certains jeux et films violents n’apportent pas leur contribution à la violence de certains comportements ?
Bref, à mon sens, il n’y avait vraiment pas de quoi sortir l’artillerie lourde, comme Yann Leroux l’a fait. D’ailleurs, c’est la deuxième raison pour laquelle je n’ai pas trop envie de m’incruster dans cette polémique. Certes, c’est son intervieweur, le journaliste Tristan Berteloot, qui a ouvert le feu le premier, avec une première question (« Selon vous, les jeux vidéo peuvent-ils rendre violent ? ») complètement hors-sujet par rapport aux déclarations initiales de Nadine Morano, qui ne parlait que de « certains jeux ». L’interviewé ne s’en sort pas trop mal, sauf quand il affirme, brut de fonderie, que « si Nadine Morano veut bien creuser la question, veut bien faire quelques recherches dans les revues scientifiques, elle verra qu’il n’y a aucune corrélation entre la violence et l’utilisation des jeux vidéo. » Ce n’est pas tant la phrase qui me pose problème (d’ailleurs, je vais passer la deuxième moitié de l’article à essayer de démontrer pourquoi elle est vraie), que le fait qu’elle soit livrée comme ça, sans même mentionner ces fameuses « recherches ». Autant se pavaner tout seul avec un T-Shirt « Vive l’OM ! » au beau milieu de supporters du PSG. Imprudence dont les conséquences étaient archi-prévisibles, que ce soit dans les commentaires ou dans la réponse de Michel Desmurget et Bruno Harlé. Enfin bon, Yann Leroux n’a pas besoin de moi ni de personne comme avocat, comme il l’a récemment prouvé.
Si c’est « dangereux », est-ce que c’est grave de l’admettre ?
Une autre raison pour laquelle je ne tiens pas à intervenir dans le clash entre Messieurs Leroux et Desmurget, c’est que je n’éprouve pas le besoin d’aller contester les études avancées par ce dernier sur le lien entre la violence des médias (télévision, jeux vidéo, etc.) et l’agressivité du comportement. D’abord parce que là, tout de suite, je n’ai pas grand-chose à opposer de solide, si ce n’est, à l’extrême rigueur, les travaux de Christopher Ferguson, le seul chercheur que je connaisse qui soit de taille à s’opposer à Craig Anderson et son « école » (2). Ensuite et surtout parce que mis à part les polémiques sur la méthodologie et les a priori des uns et des autres, l’influence de la violence des images sur le comportement, je fais plus qu’y croire : je l’ai moi-même expérimentée durant mon enfance. A défaut d’avoir eu droit à Dragonball Z, cité par Monsieur Desmurget dans son livre, je me suis coltiné les nombreuses scènes de passage à tabac des Chevaliers du Zodiaque et de Ken le Survivant. J’ai également été initié aux combats de chiens dans un dessin animé, spécifiquement pour enfants celui-là (Tchaou et Grodo, pour les connaisseurs). Et quand je parle « d’initiation », il s’agit de scènes explicites, où on voit un chien mordre la gorge d’un autre jusqu’à ce que celui-ci ait les yeux vitreux et qu’il baigne dans son sang. Pour « digérer » ce que j’avais vu, quand je jouais avec mes figurines, je mettais en scène l’une d’entre elles en train de se faire tabasser par toutes les autres. Et pan ! vas-y que je te piétine la colonne vertébrale, et pan ! vas-y que je t’éclate la rate. La peur, les pensées agressives, tout ça je l’ai effectivement éprouvé, et j’avais beau ne pas être une flèche, je savais très bien d’où ça venait. Non, ça n’a pas fait de moi un criminel, et oui, j’ai bien tourné malgré tout. Mais ça n’a pas non plus amélioré ma situation à l’époque, et j’ai vu des choses que j’aurais préféré ne pas voir (le seul aspect positif que je pourrais en tirer est que j’ai développé un dégoût absolu pour les combats d’animaux).
Pour en revenir aux seuls jeux vidéo, je n’apprends rien à personne en disant que certains jeux (ou genres de jeux) sont conçus pour provoquer certains effets spécifiques : peur, poussée d’adrénaline ou autre. Au hasard, les « survival horror » ou certains jeux de tir (deux exemples au hasard : le premier Alone in the Dark, et certains niveaux de Doom, surtout celui où la salle finale est éclairée par intermittence alors qu’elle grouille de monstres. Bref, les déclarations d’Anderson & cie, prises littéralement, ne me choquent pas le moins du monde. De toute façon, les lecteurs de ce blog connaissent nos positions : de nombreux jeux n’ont rien à faire entre les mains d’enfants, quoi que l’on puisse penser d’eux ou de leur qualité.
En revanche, quand Messieurs Desmurget et Harlé se mettent à parler « des jeux vidéo », ça me pose un gros problème. En apparence, ce n’est qu’un détail, mais c’est une imprudence qui m’étonne et me déçoit beaucoup, surtout de la part du premier.
Les chercheurs « anti-violence » au secours des jeux vidéo ?
Relisons la phrase de Yann Leroux qui les choque tant : « si Nadine Morano veut bien creuser la question, veut bien faire quelques recherches dans les revues scientifiques, elle verra qu’il n’y a aucune corrélation entre la violence et l’utilisation des jeux vidéo ». Cette phrase paraît-elle si « incompréhensible » et « fallacieuse » ? Son auteur mérite-t-il d’être taxé de « méconnaissance absolue de la littérature scientifique » ou de « sidérale mauvaise foi » ? Loin de moi l’idée de reprocher aux uns ou aux autres de ruer dans les brancards, puisqu’il m’arrive de le faire aussi. Par ailleurs, je le répète, je ne suis pas dans la tête de Yann Leroux, et je n’ai pas particulièrement l’intention de voler à son secours. Mais je suis désolé d’avoir à le dire : il a raison. Si on prend cette phrase littéralement, elle est implacablement vraie : les jeux vidéo ne rendent pas violent.
Comment puis-je prétendre une chose pareille malgré les chercheurs qui affirment qu’il existe un lien causal entre jeux « violents » et comportement agressif ?
En fait, je peux le prétendre très précisément grâce à eux, preuves à l’appui.
Tout d’abord, il n’aura pas échappé à ceux qui savent lire que la plupart des travaux sur les effets négatifs des jeux vidéo ne concernent que les jeux violents (ou alors le temps excessif qui est passé dessus). Ce sont des derniers, et seulement ces derniers, qui sont supposés augmenter l’agressivité. D’ailleurs, pour mesurer leur effet, une technique largement utilisée consiste à comparer le comportement d’un groupe de personnes qui jouent à ces jeux avec celui d’un groupe d’autres personnes qui jouent à des jeux « non-violents ». En général, les premiers voient leur comportement devenir plus agressif et moins « prosocial » que les seconds, pour lesquels on pouvait supposer un effet inverse. Qu’en est-il vraiment ?
Craig Anderson et Douglas Gentile, Professeurs à l’Université de l’Iowa, ainsi que Brad Bushman, Professeur à l’Université de l’Ohio sont les chercheurs les plus connus, les plus prolifiques et les plus cités sur les effets qu’ils jugent délétères de la violence des jeux vidéo. Mais ils ont également étudié les effets qu’ils jugent bénéfiques d’autres types de jeux. On doit par exemple à Douglas Gentile une étude selon laquelle « les jeux vidéo peuvent être un outil d’apprentissage pour aider les chirurgiens à se former. » (3) Et plus récemment, les trois comparses se sont penchés aux côtés de collègues japonais et singapouriens sur les effets des jeux « prosociaux ». Ce qu’ils ont trouvé (4) a été jugé suffisamment important pour être rapporté dans la déclaration de 2009 de l’Americain Academy of Pediatrics, cité par Michel Desmurget et Bruno Harlé :
Théoriquement, les jeux où les personnages s’entraident et se soutiennent mutuellement de manière non-violente devraient augmenter les comportements prosociaux aussi bien à court terme qu’à long terme. Nous rapportons trois études conduites dans trois pays avec trois groupes d’âge pour tester cette hypothèse. Dans l’étude corrélationnelle, les collégiens singapouriens qui ont joué à davantage de jeux prosociaux se conduisaient de manière plus prosociale. Dans les deux échantillons longitudinaux d’enfants et d’adolescents japonais, le fait de jouer à des jeux prosociaux permettait de prédire les augmentations ultérieures de comportements prosociaux. Dans l’étude expérimentale, les lycéens américains qui étaient désignés aléatoirement pour jouer à des jeux prosociaux se conduisaient de manière plus prosociale avec les autres étudiants. Ces résultats similaires obtenus à travers des méthodologies, des classes d’âge et des cultures différentes, fournissent la preuve robuste d’un effet du contenu prosocial des jeux.
Bruce Bartholow, Professeur à l’Université du Missouri et auteur de nombreuses études sur l’influence de la violence vidéoludique sur le cerveau (dont certaines en collaboration avec Craig Anderson et Brad Bushman, a publié en 2010 avec Marc Sestir une étude sur les effets comparés des jeux « violents » et « non-violents ». Voici ce qu’il a trouvé (5) :
Les études expérimentales montrent de façon routinière que les participants qui jouent à un jeu violent sont plus agressifs immédiatement après avoir joué que les participants qui jouent à un jeu non-violent. L’idée sous-jacente est que les jeux non-violents n’ont pas d’effet sur l’agression, tandis que les jeux violents l’augmentent. L’étude qui suit démondre que, bien que l’exposition à des jeux violents augmente l’agression, l’exposition à des jeux non-violents réduit les pensées et sentiments agressifs (première expérimentation), ainsi que le comportement agressif (deuxième expérimentation). […] La troisième expérimentation a élargi ces résultats en montrant que l’exposition à des jeux non-violents de type puzzle, sans contenu prosocial explicite, augmente les pensées prosociales, à la fois par rapport à l’exposition à des jeux violents et par rapport à un groupe ne jouant pas.
Plus récemment, Brad Bushman a rédigé un article avec la doctorante Jodi Whitaker au sujet des effets de jeux plus « relaxants ». Cet article va bientôt paraître dans la revue Social Psychological and Personality Science. En attendant, on peut avoir un aperçu de ce qu’il contient dans le communiqué de presse de Monsieur Bushman :
Tandis que les jeux vidéo violents peuvent conduire à plus d’agression et de colère chez les joueurs, une nouvelle étude montre que l’opposé est également vrai : les jeux vidéo relaxants peuvent rendre les gens plus heureux et plus gentils. « Avec toute la littérature à propos des dangers des jeux violents, il est bon de savoir que les joueurs peuvent choisir des jeux qui procureront une expérience positive », dit Brad Bushman. (…) Les résultats sont clairs : les jeux vidéo relaxants rendent les gens plus gentils et moins agressifs.
Black and white blues
Last but not least, on peut également citer les innombrables appels de Douglas Gentile à se débarrasser de l’idée simpliste selon laquelle les jeux vidéo sont uniformément « bons » ou « mauvais ». Plus précisément, il se sent obligé de constamment préciser, dans ses conférences comme dans sa correspondance, qu’il ne considère pas les jeux vidéo comme « mauvais » (j’en sais quelque chose, puisqu’il a cru bon de me le rappeler à moi aussi, dans sa réponse à un mail que je lui ai envoyé). Dans un article à paraître, Monsieur Gentile va encore plus loin (6) :
La littérature sur les jeux vidéo ne peut pas être cataloguée dans des termes blancs ou noirs. Au lieu de cela, il y a une vaste zone grise quand l’on considère les multiples dimensions des effets des jeux vidéo sur les enfants et les adolescents. (…) Le même jeu peut avoir aussi bien des effets positifs et négatifs sur les joueurs. « Il y a plusieurs bénéfices à cette approche », dit Gentile. « L’une d’entre elles est qu’elle nous fait dépasser la pensée dichotomique selon laquelle les jeux sont ‘bons’ ou ‘mauvais' »
On le voit, on est très loin des généralisations à l’emporte-pièce sur « les jeux vidéo » qui « rendent violent ». Même et surtout de la part des chercheurs qui étudient depuis plus d’une décennie les effets négatifs de la violence vidéoludique. Si on accepte les résultats de ces études, qui ont été effectuées et validées d’une certaine manière, alors à plus forte raison il faut prendre en compte leurs autres études sur les jeux « prosociaux », effectuées et validées de la même manière. On ne peut pas avoir à la fois le beurre et l’argent du beurre (7). Et on peut facilement déduire des travaux de ces chercheurs qu’il n’y a effectivement « aucune corrélation entre la violence et l’utilisation des jeux vidéo » en tant que tels, dans leur ensemble et tous genres confondus. Car comme l’a réalisé Douglas Gentile, les jeux vidéo, « violents » ou pas, ne sont pas interchangeables.
Et au cas où l’on voudrait s’en sortir en se contentant de rajouter un épithète pour que la question ait l’air plus intelligente (ce qui donnerait quelque chose comme : « les jeux vidéo violents peuvent-ils rendre violent ? »), je m’en prendrai cette fois à la notion de « violence » en me basant à nouveau sur les travaux des chercheurs en violence des médias. Il est vrai qu’un lien causal a été établi par leurs soins entre les jeux « violents » et les comportements agressifs. En août 2005, l’American Psychological Association avait publié une résolution dans ce sens. Cependant, il ne s’agissait « que » de comportements agressifs, pas de « violence ». En effet, comme Dorothy Singer et Elizabeth Carll l’ont confirmé au site vidéoludique GamePolitics, « Sachant que la violence est une forme extrême d’agression [ce qui m’a été confirmé personnellement par Douglas Gentile] la recherche dont parle la résolution concerne l’agression. » Mesdames Singer et Call ont également précisé que leur « résolution n’a pas prétendu qu’il y avait un lien causal direct avec une augmentation de la violence des adolescents suite au fait de jouer à des jeux vidéo. »
Bref, en attendant que l’on découvre que l’American Psychological Association est infestée d’émules de Ragnar Rylander, on peut constater sans trop s’avancer que même eux refusent de parler de jeux qui « rendent violent ». Même cette partie de la phrase n’est pas validée par des chercheurs qui, par ailleurs, ne sont pas tendres envers les jeux « violents ».
Conclusion (provisoire)
Comment a-t-on pu passer de déclarations généralement prudentes sur les jeux « violents » à un amalgame aussi outrancier sur l’ensemble des jeux vidéo ? On l’a dit, c’est le journaliste Tristan Berteloot qui a introduit cette généralisation dès la première question de son interview. Yann Leroux a répondu comme il a pu, mais il l’a reprise maladroitement à son compte, avant que Michel Desmurget et Bruno Harlé ne s’en emparent à leur tour, avec le même souci de la nuance que des éléphants dans un magasin de porcelaine. Mais bon… en étant charitables, on peut mettre ça sur le compte du téléphone arabe, même si ce n’est pas très sérieux, ni très rigoureux. Est-ce bien la peine d’en faire un fromage ?
Qu’on me permette de citer une dernière fois Douglas Gentile, qui dans un article publié sur le site vidéoludique GamePro, exprime son désarroi face à la mauvaise image des chercheurs qui travaillent sur la violence des jeux vidéo, conséquence directe de la polarisation du débat sur ce sujet :
Il est inquiétant que des gens pensent que les scientifiques qui mènent des recherches sur les jeux vidéo sont « biaisés » d’une manière ou d’une autre, et qu’ils essaient de prouver un point ou un autre. Je connais presque tous les chercheurs de ce domaine, et cette caractérisation ne colle pas. Ce sont des scientifiques sérieux qui veulent trouver quels types d’effets peuvent avoir les jeux vidéo (soit potentiellement bénéfiques, soit potentiellement mauvais) et quels types d’éléments augmentent le risque d’agression. La plupart d’entre nous, chercheurs, jouons nous-mêmes à des jeux vidéo et autorisons nos enfants à jouer, donc nous ne détestons pas les jeux. Par exemple, mes filles et moi jouons à tout un paquet de jeux (la plupart non-violents) sur la Wii.
Je suis également troublé par le fait que beaucoup de gens ne réalisent pas que la science est fondamentalement neutre par rapport aux politiques publiques. Les faits scientifiques ont de la valeur pour établir une politique, mais ils ne sont qu’une partie du puzzle. Malheureusement, les gens qui ont des opinions tranchées à propos des jeux vidéo utilisent souvent un langage polarisant pour politiser les données ou attaquer les chercheurs. (…) Ce type de discours n’aide pas, et il politise la science alors que les scientifiques essaient simplement de donner une bonne information au public.
Je peux comprendre, jusqu’à un certain point, que Messieurs Desmurget et Harlé perdent leur calme face aux affirmations péremptoires de « pipeaulogues » et de commentateurs un peu hâtifs (qui, on s’en doute, n’ont pas tous lu le livre du premier). Mais je me sens obligé de leur rappeler que la patience est une vertu. La prudence aussi. Et je conclurai par une citation, non plus des chercheurs que j’ai déjà assez exploités comme ça, mais de l’essayiste Paul Thibaud : « La politique se fait à plusieurs, c’est un entremêlement où les ennemis sont inévitablement, pour une part, ce que nous avons fait d’eux. C’est pourquoi nous sommes responsables de nos ennemis. »
- Au hasard : The Plug-in Drug de l’américaine Marie Winn, Mon enfant n’est pas un coeur de cible du français Jean-Philippe Desbordes, les travaux du québécois Jacques Brodeur, Vorsicht Bildschirm ! de l’allemand Manfred Spitzer, ou La Machine à Décérébrer des suisses René Blind et Michael Pool. Il faut noter qu’à son apparition, le jeu vidéo était perçu comme une extension de la télé, voire un enfant bâtard. Donc la plupart des défauts attribués au premier ont naturellement rejalli sur le second, les craintes sur l’interactivité de la violence en plus.
- Psychologue de formation, Professeur à l’Université du Texas, Christopher Ferguson a publié depuis quelques années une série d’articles dans diverses revues scientifiques, afin de réfuter les travaux de Craig Anderson, Brad Bushman et d’autres qui établissent un lien entre les jeux « violents » et les comportements agressifs. Il les accuse notamment d’être biaisés dans leur publications. L’ensemble de ses publications est disponible sur sa page Web. Les gens pressés seront intéressés par ce compte-rendu de la polémique qui l’oppose, par articles interposés, à Anderson & cie. C’est à peu près le seul canasson sur lequel les adversaires de cette « école » pourraient parier, à part peut-être Cheryl Olson et Lawrence Kutner (attention tout de même, parce que malgré la fanfare qui a accompagné leur livre Grand Theft Childhood dans la presse vidéoludique, leurs travaux ont tendance à confirmer le lien entre jeux « violents » et comportements agressifs).
- James Rosser, Paul Lynch, Laurie Haskamp, Douglas Gentile, et Asaf Yalif. (2007) The impact of video games in surgical training. Archives of Surgery, 142, pages 181-18.
- Marc Sestir et Bruce Bartholow. (2010) Violent and nonviolent video games produce opposing effects on aggressive and prosocial outcomes. Journal of Experimental Social Psychology, 46, pages 934-942.
- Douglas Gentile. (2011) The Multiple Dimensions of Video Game Effects. Child Development Perspectives, 2011; 5 (2), page 75.
- D’ailleurs, l’inverse est tout aussi vrai. Si on prend pour argent comptant tout ce qui est rapporté dans ces études sur les effets « positifs » des jeux « non-violents », « prosociaux » ou « relaxants », alors il faut faire de même pour toutes les autres et accepter sans condition les résultats que ces mêmes chercheurs ont obtenu sur les effets négatifs des jeux « violents ». A ce propos, Christopher Ferguson, lui, reste cohérent : selon lui, toutes ces études, qu’elles démontrent des résultats « positifs » ou « négatifs », sont aussi mal fichues les unes que les autres : Je doute que vous voyiez les jeux prosociaux résoudre les maux de la terre, pas plus que les jeux violents n’ont causé une flambée de violence juvénile. »
Shane Fenton est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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Franchement, vous avez maintenant suffisament de légitimité sur le sujet pour sortir votre propre bouquin sur la violence et les jeux vidéos, y avez-vous pensé.
On n’est pas obligé d’être un scientifique pour avancer des arguments, je pense.
Très bonne synthèse, comme d’habitude, argumentée et posée. J’abonde dans le sens du commentaire précédent, tu t’en doutes : il serait vraiment plus qu’intéressant que tu sortes ton propre bouquin, je te l’ai déjà dit :)
(j’avais complètement oublié Tchaou et Grodo, bordel, tout m’est revenu dans la tronche d’un seul coup)
Les gens se mettent enfin à s’apercevoir que l’humain est influencé par ses activités ? MAIS QUELLE INCROYABLE SURPRISE !!
Ne dit-on pas que « la musique adoucit les mœurs ». Pourquoi se serait limité à la musique. Quand on regarde un film violent ou joue à un jeu violent, on est plus susceptible d’avoir un comportement violent immédiatement après. Si on regarde un film comique, on a plus tendance à rire et si on joue à un jeu zen et relaxant, on est plus calme.
Merci pour cet article qui élargit le débat.
« Le jeu vidéo adoucit les moeurs » ferait un bon titre de bouquin :)
Enfin un article super intéressant et de bonne foi sur le sujet :D
Merci pour les encouragements. Mais est-ce que je suis si « légitime » que ça ? Certes, pas besoin d’avoir un diplôme ou une position scientifique, mais il faut tout de même un certain bagage pour être capable de discuter de ces études. Sans parler de la capacité à les trouver aux bons endroits. Avoir fait une thèse, ça aide, mais deux années passées à enseigner m’ont quelque peu rouillé.
Quoiqu’il en soit, je remercie sincèrement Michel Desmurget de m’avoir donné l’inspiration pour écrire ce papier, dont certains points me trottaient dans la tête depuis longtemps. Et je le remercie encore davantage de m’avoir répondu personnellement, même si une partie de mon argumentation lui a peut-être échappé. J’espère que cela débouchera sur une discussion féconde, on en a bien besoin après le cirque qui vient d’avoir lieu à la Cour Suprême de Californie.
Je dois avouer que j’ai un t-shirt MEUPORG. Ca doit compter. D’ailleurs, c’est pour cela sans doute que sur FB je lie l’article à … Olivier Mauco. Toutes mes confuses !
Bien évidement que les images ont un effet sur ceux qui les regardent ou sur ceux qui y jouent. Sinon, pourquoi se fatiguerait-on à faire des images. Mais l’idée selon laquelle les images violentes produisent nécessairement des sujets violents sur le long terme est tout bonnement fausse.
Qu’un enfant se mette a jouer avec ses jouets ce qui a vu à l’écran est un signe de bonne santé psychique. Cela veut dire qu’il peut traduire dans un autre cadre ce qu’il a vécu avec les images. Certains font le chemin inverse : ils filment/photgraphient ce qu’ils jouent avec les jouets. Le drame c’est que l’on considérera qu’un enfant fan des éviscérations de Naruto est dans une situation plus problématique qu’un enfant qui fait des batailles rangées avec des playmobils
Bref (?) les jeux n’abrutissent pas. Ils ne rendent pas intelligents non plus. Ils sont là pour divertir. Lorsqu’ils servent à autre chose, alors il faut s’inquiéter de la situation de la personne.
Un article intéressant : http://www.next-gen.biz/features/why-we-kill
Shane va avoir du boulot, d’après Le Monde, l’auteur présumé des attentats en Norvège jouait au jeux vidéo : « Sur son profil Facebook, l’homme à la chevelure blonde mi-longue se décrit comme « conservateur », « chrétien », célibataire, intéressé par la chasse et par des jeux tels que World of Warcraft et Modern Warfare 2. Il se présente aussi comme directeur de Breivik Geofarm, une ferme biologique qui lui a donné accès à des produits chimiques susceptibles d’être utilisés pour la confection d’explosifs. Une centrale d’achat agricole a indiqué samedi qu’il avait acheté début mai six tonnes d’engrais chimiques. »
A mon avis y’a aussi du Settlers, ou du Civilization là dedans, parce que l’idée de la ferme biologique pour faire une bombe… j’y aurais jamais pensé.
En ce qui concerne la Norvège, voir ici pour plus de détails : http://kotaku.com/5824147/oslo-terrorist-anders-behring-breivik-used-modern-warfare-2-as-training+simulation-world-of-warcraft-as-cover
C’est beaucoup plus sérieux, à mon avis, que les parallèles grossiers entre Winnenden et Counter Strike, ou entre Columbine et Doom. D’ailleurs, je compte faire un petit papier dessus (la presse généraliste, elle, n’a pas traîné). A suivre…
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/07/25/le-jeu-video-eternel-bouc-emissaire-des-tueries_1552692_651865.html#ens_id=1551858 avec une conclusion satisfaisante : « Au final, le jeu vidéo n’occupe qu’une place minime dans les prolifiques écrits d’Anders Breivik : à peine quelques paragraphes, disséminés dans plus de 1 500 pages de texte. Dans sa vie également, le jeu semblait n’avoir qu’une importance mesurée, même s’il s’agissait d’un de ses principaux loisirs. Dès lors, pourquoi l’explication des « jeux vidéo violents » est-elle revenue très vite dans les explications de plusieurs experts et journalistes ? »
Mouais, pour une fois, je ne trouve pas qu’il faille parler de « bouc émissaire ». Si l’explication est revenue, c’est : 1/ Parce que le tueur a écrit noir sur blanc qu’il utilisait ce jeu comme outil d’entraînement (je vois mal comment il s’y est pris, mais bon…), 2/ Parce que la presse spécialisée a fait ses gros titres dessus (cf. Kotaku).
Si on lit attentivement la presse généraliste, on se rend compte qu’ils ont d’autres chats, bien plus gros, à fouetter. Comme par exemple ses convictions politico-religieuses. La plupart du temps, ses goûts vidéoludiques ont été mentionnés, et ça s’est arrêté là. On est bien loin d’une mise en accusation du média, contrairement à ce que ça aurait été il y a encore 5 ans. OK, Stéphane Bourgoin raconte des conneries sur WoW, mais il y en a combien comme lui ? Et surtout, est-ce que ce sont les conneries les plus graves proférées par un « expert » sur cette tuerie ?
Bref, l’article du Monde n’est pas mauvais, mais je trouve que la victimisation est malvenue. Peut-être qu’au bout de quelques semaines, quand les activistes anti-violence se seront emparés du sujet, on va morfler. En attendant, on en est loin, donc calmos.
Mais pourquoi le préciser ? … La plupart des gens ont joué au moins une fois à ces jeux, pourquoi faut-il que les médias le précisent (en montrant évidemment des extraits de CoD hein, des coups de feu, du sang, bouh que c’est Mal) … ? Ok, ils ne les ont pas attaqués et n’ont rien dis de plus.
Mais chez un gars/une fille lambda, qui joue pas particulièrement, qui entend qu’un dangereux terroriste jouait à des jeux vidéos… ça fait tilt non ? genre lien de cause à effet. Même s’ils ne le disent pas. Et ils le diront, plus tard, quand on cherchera les raisons du drame, ça reviendra sur le tapis et on s’en prendra plein la tronche.
( De toute façon, je suis sûre que tout Al-Quaïda joue à CoD. C’est évident ma p’tite dame. )
Je n’ai pas eu le courage de chercher une source plus sérieuse mais il me semble que l’article mérite d’être cité ici :
http://www.ps3gen.fr/norvege-jeux-violents-retires-anders-behring-breivik-retrait-world-of-warcraft-call-of-duty-actualite-19939.html
A défaut de parler de bouc émissaire, on a bien droit à une chasse aux sorcières de la part d’une partie des réseaux de distributions Norvégiens.
J’en parle ici : http://www.canardpc.com/news-52592-gueule_de_bois_norvegien.html
En gros, il se passe la même chose qu’en Allemagne au lendemain de la tuerie de Winnenden. Ou (dans une moindre mesure) qu’au Japon au lendemain de la catastrophe de Fukushima avec certains jeux évoquant une catastrophe nucléaire.
Quand je remettais en cause l’appellation de « bouc émissaire », j’aurais peut-être dû préciser que je parlais de la France, et éventuellement des pays anglo-saxons. Dans le cas de cette enseigne norvégienne, on est devant le schéma classique d’un directeur de supermarché qui a paniqué et qui essaie de se faire bien voir en sacrifiant arbitrairement certains de ses jeux. Donc, on pourrait peut-être parler dans son cas de « bouc émissaire », encore que c’est temporaire et que c’est ce qui se produit habituellement après un drame de ce genre (pas seulement pour les jeux, d’ailleurs). En général, on serre les fesses en attendant que ça passe, puis la situation revient à la normale quelques semaines (au pire, quelques mois) plus tard.
Maintenant, pour répondre à Dosap qui redoute le qu’en-dira-t’on, je maintiens qu’à partir du moment où la presse spécialisée en fait ses gros titres (cf. Kotaku), il me paraît difficile de demander à la presse généraliste de ne pas suivre. Et en France, encore une fois, je ne trouve pas qu’on soit les plus mal lotis, vu que trois journaux nationaux, pas moins, ont manié l’éteignoir (Le Mondre, Libé/Ecrans et le Nouvel Obs).