On jouait déjà avant ta naissance, donc on a raison

Allemagne : Quel est le lien entre « jeux de tueurs » et « folie meurtrière » ?

Par • le 6/10/2009 • Entre nous

Aujourd’hui, un « Entre nous » spécial, puisqu’il s’agit de la traduction en français d’un texte issu du site Stigma-Videospiele dont je vous ai déjà chanté les louanges. Je remercie mon collègue Stefan de l’avoir traduit pour moi. Et je remercie également Matthias Dittmayer, fondateur et propriétaire du site Stigma-Videospiele, de me donner carte blanche pour publier la traduction de ce texte et de tous ceux que nous pourrons traduire Stefan et moi (plus Stefan que moi, à vrai dire, parce que je ne parle pas un mot d’allemand).

Voici donc la traduction en français d’un document de synthèse sur les liens réels, supposés ou fantasmés par les médias, entre « killerspiele » (« jeux de tueurs ») et « amoklaufe » (littéralement, « course folle meurtrière », désigne les actes de fusillade dans des lieux publics comme l’école). Dans ce document, Matthias Dittmayer liste quelques énormités sur les « killerspiele » entendues dans les médias généralistes ou dans la bouche de personnalités politiques de tous bords. Ensuite, il essaie de rétablir les faits avant de discuter des « vrais » problèmes posés par la violence dans les jeux vidéo. La version originale, en allemand, se trouve à l’adresse suivante : http://www.stigma-videospiele.de/Flugblatt.pdf

Quel est le lien entre les killerspiele et les amoklaufe ?

(Matthias Dittmayer)

« Dans l’ordinateur de Tim K, on a trouvé un killerspiel. Selon la police, ceci pourrait être un mobile potentiel pour son acte de folie meurtrière. » Focus, 12.03.2009

Première page :

Ce qu’on en dit
Les faits Ce qui ne va pas
« On sait que dans tous les cas d’amoklaufe,les tueurs avaient une tendance nette à jouer aux soi-disant killerspiele »

Heini Schmitt (DPolG) 18.03.2009

Seulement 57% des tueurs s’intéressaient aux « killerspiele », aux USA en particulier ils n’étaient que 12%. Aussi, le psychologue Jens Hoffmann confirme que les « killerspiele » ne sont pas un déclencheur (1). Même si l’effet des « killerspiele » est moins fort que pour les films, et qu’on ne peut pas démontrer la présence d’effets permanents, on devrait veiller à prendre ses responsabilités dans l’utilisation de ces jeux. Ainsi, le bon sens devrait nous dire que les jeux vidéo qui contiennent de la violence ne sont pas pour les enfants, tout comme les films d’horreur. Il existe toutefois le même problème que dans d’autres domaines de la protection de la jeunesse. L’âge moyen des enfants lors du premier contact avec le tabac et l’alcool est d’à peu près 11 ans et demi. Concernant les jeux vidéo « réservés aux plus de 16 ans », 50% des enfants de 10 ans les ont déjà essayés. Dans ce cas précis, les parents devraient pouvoir agir. Pour les aider, il existe une classification établie par l’USK sur l’âge requis pour jouer à un jeu, ainsi que les pages web suivantes :

–          www.schau-hin.info

–          www.gameparents.de

–          www.spieleratgeber-nrw.de

Références :

(1) www.tu-darmstadt.de/vorbeischauen/aktuell/archiv_2/neues ausdertudeinzelansicht_8064.de.jsp

www.secretservice.gov/ntac/ssi_final_report.pdf

www.stern.de/panorama/:Amokl%E4ufe-Schulen-Wie-Columbine–/661363.html

(2) www.schulische-gewaltpraevention.de/index.php?section=2_2

njjn.org/media/resources/public/resource_502.pdf

(3) www.stern.de/computer-technik/computer/:Serious-Games-Die-US-Armee-Krieg/614166.html

(4) www.n24.de/news/newsitem_4987382.html

www.gulli.com/news/studie-rennspiele-gef-hrlicher-2009-04-01/

books.google.de/books?id=sl-Hjf-gMyUC&printsec

(5) www.saarbruecker-zeitung.de/_/tools/pdfpage.html?arid=28777680

www.spiegel.de/netzwelt/web/0,1518,548754,00.html

(6) blog.beck.de/node//16388

(7) www.hbsc-germany.de/pdf/hbsc_rki_schrift.pdf

www.mpfs.de/fileadmin/Studien/JIM2004.pdf

« La grande majorité des citoyens allemands pensent que les « killerspiele » sont co-responsables de l’augmentation de la violence dans les écoles. »

Stern, 29.11.2006

Malgré le nombre croissant de joueurs et les graphismes de plus en plus détaillés, la violence juvénile diminue, ou du moins elle stagne. Aux USA, elle est à son minimum depuis 30 ans (2).
« Le sentiment d’empathie s’est progressivement altéré. Ce n’est pas un hasard si les killerspiele […] ont été développés au sein de l’armée afin de réduire les inhibitions des soldats afin de les rendre plus efficaces. »

Tagesspiegel, 12.03.2009

Les jeux vidéo n’ont pas été développés par l’armée américaine pour l’entraînement des soldats. Il est vrai que certains jeux sont utilisés par l’armée, sauf que ce n’est pas pour désensibiliser les soldats [au meurtre], mais pour répéter des tactiques [de groupe] (3).
« Il faudrait interdire les killerspiele en Allemagne. Ils apprennent aux jeunes à tuer d’autres personnes. »

Edmund Stoiber (CSU), 21.11.2006

Les jeux violents peuvent augmenter à court terme l’agressivité, mais à un moindre degré que les jeux de course ou les films. La thèse selon laquelle il y aurait des effets permanents n’a pas été prouvée (4).
« Ce ne sont pas les jeux qui transforment les jeunes en tueurs. Ce sont des déficiences dans la famille et dans leur environnement qui les pousse à se réfugier dans le monde des jeux, où ils peuvent rejouer des scénarios de vengeance. »

Kölner Stadt-Anzeiger, 12.03.2009

Une étude effectuée dans les écoles allemandes a conclu que presque 75% des jeunes utilisent ce genre de jeux. Ceux qui ont plus d’amis jouent même davantage. Le fait de ne pas jouer peut être considéré comme le signe d’un manque de socialisation (5).
« Les jeux dans lequels la violence [est] glorifiée devraient être interdits. Si on ne nous écoute pas, j’aborderai ce sujet à la conférence des ministres de la justice [des différents états allemands]. »

Angela Kolb (SPD), 07.05.2009

Les jeux qui glorifient la violence sont déjà interdits en Allemagne. Rien qu’en 2008, il a été décrété la confiscation de trois jeux. Même pour les adultes, moins de 50% des jeux peuvent être vendus normalement sur le marché (6).

Deuxième page :

Ce qui est faux Ce qui est vrai Ce qu’il faut ajouter Ce que dit la loi
« Le célèbre jeu vidéo en ligne indexé Counter Strike […] le jeu dans lequel il faut tuer tout le monde […], des policiers, des passants, jusqu’aux écolières. »
FAZ, 2002
CounterStrike n’est pas indexé et le but n’est pas davantage de tuer des passants ou des écolières. Les premiers n’existent même pas, et les secondes ne peuvent être insérées dans le jeu que par manipulation postérieure. On peut distinguer les jeux vidéo violents globalement en deux catégories. Ceux auxquels on joue seuls, et ceux auxquels on joue sur Internet avec d’autres joueurs.

Tandis que dans les jeux multijoueurs, l’accent est mis sur la composante compétitive, variante moderne du « gendarme et du voleur », les jeux solo peuvent être assimilés à des films interactifs. Il existe un grand nombre de sous-genres distincts les uns des autres. On parle ainsi de jeux « survival », « gore », « tactiques », « militaires » et « d’infiltration ». Ils recouvrent des scénarios qui correspondent aux films de cinéma tels que « James Bond », « Alien », « Il faut sauver le Soldat Ryan », « Le Parrain » et d’autres.

Hormis le but de ces jeux, qui est de tirer sur d’autres personnes comme dans le jeu du « cowboy et des indiens », le seul problème majeur qu’ils posent réside dans le degré de violence. Pendant que certains jeux comme « Halo » se passent complètement du sang, d’autres jeux comme le successeur de CounterStrike 1.6, c’est-à-dire CounterStrike : Source, proposent des giclées de sang virtuelles. Certains jeux sont tels que les créatures virtuelles perdent des membres dans une explosion. Il existe très peu de jeux solo comme « Le Parrain », qui sont critiqués publiquement pour le fait que le joueur soit dans la peau d’un criminel qui peut, ou qui doit, tuer des innocents.

Nous avons les lois les plus strictes du monde bien que les effets permanents [des jeux violents] ne soient ni confirmés, ni prouvés. On ne s’appuie sur rien de plus que des prérogatives. Sur la possibilité de créer une loi selon son bon vouloir sans être obligés d’attendre quels sont les effets réels [de ces jeux]. Ainsi, sous prétexte de protéger la jeunesse et de prévenir la violence, de nombreuses réglementations ont été votées. On a interdit les jeux dans lesquels les actes de violence cruelle sont représentés sous un jour positif. Les jeux dont la violence est une fin en soi ne sont pas disponibles publiquement à la vente, et on ne peut pas en faire la publicité. Concernant la vente aux mineurs, une autorisation est requise.

Concernant les amoklaufe :

Les amoklaufe ne sont pas un phénomène des temps modernes. De tels actes existent depuis plus de 400 ans. Vu l’âge moyen de leurs auteurs, 36 ans, on ne peut pas non plus parler d’un phénomène qui touche la jeunesse. Seulement, on parle davantage des massacres qui ont lieu dans des écoles. Aux USA, le public a déjà pris acte de l’existence des amoklaufe dans les années 70, quand des employés de la Poste ont tué des collègues à la chaîne. C’est pour cela que le terme « amoklauf » ou « acte de folie meurtrière » se dit « going postal » aux USA. Le lieu du crime est le plus souvent le lieu où on vit et où on travaille. Dans le cas des facteurs, c’est la Poste, dans le cas des écoliers, c’est l’école.

« Les jeux vidéo inoffensifs […] et ceux qui le sont moins comme Resident Evil ou Counterstrike, dont le but est d’abattre de manière sanglante un maximum de personnes. »

Die Ziet, 2002

Dans CounterStrike, on peut théoriquement gagner sans avoir tiré un seul coup de feu. Tuer un maximum d’adversaires n’est pas nécessaire pour vaincre, et la brutalité est complètement négligeable.
« Le sang gicle et reste collé aux murs. Ils piétinent le cadavre déchiqueté et attendent le prochain ennemi. Le jeu est accessible à partir de 16 ans. »

HartaberFair, 2006

Dans la version allemande de CounterStrike 1.6, il n’existe pas de sang. Le cas de son successeur CounterStrike : Source est différent, mais il n’y a pas de cadavre déchiqueté, pas plus que dans la version originelle anglaise.
« Les fusils à pompe sont les plus convoités, parce qu’ils font gagner le plus de points. »

Hamburger Abendblatt, 2002

L’arme utilisée par le joueur n’apporte pas davantage de récompense. Ils n’obtiennent pas plus de points s’ils utilisent un fusil à pompe.
« Le tueur d’Erfurt […], l’un de ses jeux favoris était ‘Counterstrike’, dans lequel deux unités terroristes ennemies se font la guerre. »

Spiegel, 2002

Tout ceci est faux.Ni le tireur d’Erfurt, ni celui d’Emsdetten n’avaient joué à CounterStrike. Toutefois, ils avaient installé d’autres jeux vidéo bien plus brutaux. En revanche, d’autres tueurs, comme par exemple celui de Blacksburg (Virginia Tech) ne s’intéressaient absolument pas aux jeux violents. Ceci est surprenant, parce qu’à cause de la prolifération de ce genre de jeux, quasiment tous les jeunes en possèdent.
« ‘Counterstrike’ est le nom du jeu vidéo dans lequel le tireur dément Bastian B. (18 ans) a trouvé l’inspiration pour son acte de folie à Emsdetten. »

Bild, 2006

Remarques additionnelles (Shane_Fenton) :

Sur la première colonne de la deuxième page, il est fait mention de Counter-Strike en tant que jeu « indexé » (ce qui est d’ailleurs une information fausse, dûment rectifiée par Dittmayer). Il faut savoir qu’en Allemagne, certaines oeuvres, plutôt que d’être totalement interdites, sont « mises à l’index ». C’est-à-dire qu’elles sont classées dans une liste noire répertoriant les oeuvres « dangereuses pour les mineurs ». A ce titre, elles sont strictement interdites de publicité, et leur vente fait l’objet de contrôles très sévères afin d’ôter toute chance à un mineur d’y accéder. Cela va donc beaucoup plus loin qu’une « simple » interdiction aux moins de 18 ans. En principe, les adultes doivent pouvoir acheter les oeuvres indexées s’ils le désirent, mais les détracteurs de ce système affirment que les restrictions imposées sont telles qu’il s’agit d’une censure qui ne dit pas son nom. Toutefois, il ne faut pas confondre indexation et interdiction totale de territoire, et ceux qui appellent à une interdiction des « killerspiele » pencheraient plutôt pour cette deuxième solution (les plus enragés réclamant carrément une prohibition au niveau européen, voire international). A noter que Wikipedia possède une liste des jeux indexés.

D’une manière plus générale, le lecteur peut constater que la désinformation en Allemagne atteint parfois des sommets, surtout avec « Counter-Strike, le jeu où l’on tue des petites écolières »(dans la bouche d’un ministre de l’intérieur, c’est même devenu le « jeu où l’on viole – Vergewaltigen – des petites écolières »). A ce titre, je trouve que Matthias Dittmayer fait du bon travail pour pointer cette désinformation et rétablir les faits. Malheureusement, à vouloir être trop précis, il prend parfois le risque de s’emmêler les pinceaux, et je le lui ai fait savoir.

Par exemple, dans le cas des « petites écolières », je vois où il a voulu en venir quand il dit qu’on peut les « insérer par manipulation postérieure », mais il n’en dit pas assez, et ce faisant, il en dit trop. Pas assez, parce qu’il aurait fallu prendre le temps d’expliquer ce qu’est un « mod », ou au moins l’ajout de nouveau contenu tel que les cartes ou les « skins » (et encore, je ne suis même pas sûr que Counter-Strike le permette). De toute manière, de même qu’un film auquel on rajoute des séquences, où dont on trafique la bande-son, n’est plus le même film, un jeu qu’on modifie pour changer les règles ou l’univers graphique n’est plus le même jeu. Et si un détracteur borné des « killerspiele » tombe sur ce texte, il est probable qu’il se contrefiche de savoir ce qu’est une « manipulation postérieure ». Tout ce qu’il retiendra, c’est qu’on peut « rajouter des écolières », donc que dans Counter-Strike, on peut « tuer des écolières ». Et voilà comment, à force de tergiversations, on peut donner le bâton pour se faire battre. Pour que les choses soient claires, il vaudrait mieux dire qu’il n’y a pas de « passants » ou « d’écolières » ou de « grands-mères en chaise roulante » dans Counter-Strike, point final.

Ceci étant, ce petit document de synthèse est utile pour avoir un aperçu du traitement médiatique du jeu vidéo en Allemagne, et pour savoir quoi répondre sur certains points précis. Dites-vous toutefois que ce n’est que la pointe de l’iceberg, comme on pourra le constater quand je publierai la traduction des autres pages du site.

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est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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6 commentaires »

  1. Bon, d’accord, la mise en page n’est pas géniale pour l’instant, mais ça reste lisible. Le problème sera réglé dès que possible.

  2. Ouai c’est pas jojo là :D

  3. C’est la dernière fois que je passe par un copier-coller de tableau Word pour construire mes tableaux ! La prochaine fois, je ferai des balises html toutes propres.

  4. Voilà, c’est fait, c’est pas encore optimal mais ça a une meilleure gueule

  5. Kwyxz, t’es un amour ;)

    C’est effectivement plus lisible, et normalement, avec ça, on comprend que la première et la deuxième colonnes du tableau sont liées. Merci beaucoup en tout cas !

  6. rétrécissez un chouilla la typo et ça devrait commencer à être lisible

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