Marty (Fujitsu): du cul, du cul, du… cul ?
Par kwyxz • le 13/5/2011 • Entre nous, Les consoles que tu ne connais pas (ou très mal) •Attention les yeux, car voici une console de jeux qui n’y a pas froid. La Marty est la « consolisation » d’un standard de micro-ordinateurs très connu au Japon, le FM Towns, qu’il m’est indispensable de présenter avant toute chose.
Screw you, IBM
Fujitsu est une boîte spécialisée dans l’informatique, les semiconducteurs et l’électronique de façon plus générale fondée en 1935 et pourtant, elle demeure assez méconnue du public européen. Au début des années 80, le marché de l’informatique japonais est assez largement dominé par NEC qui, avec ses PC-88 et PC-98, connaît un joli succès. Afin de redevenir leader, Fujitsu décide de miser gros sur le multimedia et le jeu vidéo avec une machine aux capacités graphiques et sonores supérieures à tout ce qui se faisait jusqu’ici : le FM Towns. Capable d’afficher du 640×480 en 256 couleurs depuis une palette de 16.7 millions, le FM Towns est vendu de base avec un lecteur de CD-ROM, un joypad et une souris. Rappellez-vous que l’on est en 1989 et qu’à l’époque, les PC IBM les plus répandus ressemblaient souvent à ça :
Le système d’exploitation baptisé Towns OS est, à l’instar de Windows une surcouche graphique de MS-DOS, pouvant être directement bootée depuis le lecteur de CD-ROM. En avance sur son temps, je vous le dis.
Néammoins celui-ci, comme beaucoup de précurseurs, fut longtemps buggé et de nombreux jeux étaient écrits directement en langage machine afin de taper directement sur le hardware sans utiliser Towns OS. Les capacités de la machine aidant, une belle quantité de jeux fut portée sur FM Towns même si les éditeurs resteront toujours moins actifs que sur l’un de ses principaux concurrents, le Sharp X68000. En effet, ce dernier est équipé du même hardware que les bornes d’arcade en vogue de l’époque : comme son nom l’indique le Motorola 68000 permettait des conversions « arcade perfect » simples et rapides. Le FM Towns verra tout de même une belle ludothèque débarquer, et au début des années 90 Fujitsu décide de convertir sa machine en véritable console de jeux.
Nom de Zeus, nous sommes en 1993 !
Contrairement aux apparences, ceci n’est pas une PC-Engine Duo-R. La Marty est un recarrossage direct du FM Towns dans un boîtier blanc au design épuré mais d’aspect moderne et classieux.
Attention, et c’est maintenant qu’on rigole, les infos sur la Marty ayant fait le trajet jusqu’à l’Europe sont tellement peu nombreuses qu’il m’a été très difficile de vérifier certaines données qui devraient pourtant couler de source. Oui, même avec l’Internet convivial 2.0, par exemple, on trouve des dates de sortie différentes pour la machine. Pas mal de sites avancent un « 1991 » bien vague et jamais sourcé : Wikipedia Fr, que j’ai édité depuis suite à mes recherches, le site du Musée du Jeu vidéo (bravo les gars) mais aussi et surtout une belle quantité de sites français de retrogaming qui ont probablement tous repompé Wikipedia sans vérifier. Wikipedia Japon donne le 16 février 1993, information sourcée mais invérifiable car provenant d’un magazine papier. Les magazines français évoquent tous la Marty à la même période, vers mai-juin 1993, par exemple Player One, page 20. Quant au site officiel de Fujitsu, il parle, lui, de « 1994 »… sacrés blagueurs, ces Japonais. Même genre de casse-tête avec le processeur principal de la machine : d’après l’intégralité de l’Internet, elle est propulsée par un 386SX de chez AMD à 16 MHz, mais celui-ci est vraisemblablement un processeur à 33 Mhz underclocké puisqu’AMD n’a jamais vendu de 386 cadencés à cette vitesse. Malgré toutes mes recherches, il ne m’a pas été possible de trouver de réelle explication hormis un possible timing des jeux en fonction de l’horloge (et la volonté d’assurer une vraie rétrocompatibilité avec le FM Towns) ou bien un moyen d’éviter la surchauffe dans un boîtier plus compact. J’ai donc contacté le service presse de Fujitsu Japon sans trop y croire, et ils m’ont répondu en deux heures en m’envoyant ce communiqué de presse. On y apprend donc officiellement que la console est sortie le 20 février 1993 au prix de ¥98000, soit plus de 850 Euros. Vous l’avez lu ici en premier. Pour ce qui est du processeur, la personne qui m’a répondu n’avait pas beaucoup plus d’infos (le communiqué de presse dit simplement « 32 bit CPU ») mais m’a confirmé qu’il était « d’une vitesse équivalente à un 386SX à 16 MHz », laissant l’hypothèse de l’underclocking comme crédible.
La machine est vendue avec deux manettes, est équipée d’un lecteur de CD-ROM simple vitesse mais aussi d’un lecteur de disquettes 3.5″. La console propose une rétrocompatibilité partielle avec certains jeux FM Towns déjà disponibles mais très vite des titres spécifiques à la Marty sortent et étoffent une ludothèque déjà pas si mal fournie.
Malheureusement pour elle, la console débarque alors que le paysage vidéo-ludique est déjà dominé de façon écrasante par la Megadrive de Sega et la Super Famicom de Nintendo. Vendue à plus de 800 Euros, manquant cruellement de killer-apps exclusives, elle peine à trouver des acheteurs et se cantonne de toute façon au marché japonais. Le 1er janvier 1994, Fujitsu sort la Marty 2 dont les seules spécificités sont d’avoir changé de couleur (elle arbore désormais une belle robe anthracite) et, si la rumeur parle d’un processeur 486 et que Fujitsu se garde bien de la démentir, il n’en est en pratique rien : les caractéristiques de la console sont identiques. Seule nouveauté : une importante baisse de prix puisque la console coûte désormais ¥66000, soit environ 575 Euros, ce qui ne suffira malheureusement pas. La console sombre rapidement dans l’oubli, sauf auprès d’un marché de niche… bien particulier.
Patron ! Deux autres femmes à poil !
L’un des avantages du support CD par rapport aux cartouches, c’est la capacité de stockage qui, pour l’époque, semblait démentielle et permettait aux développeurs de se faire plaisir. Le Super CD-ROM de la PC Engine avait déjà démocratisé les musiques CD et les dessins animés d’intro digitalisés, la Marty continue sur cette lancée. Le constat est assez simple : quand on a plein de place pour coller des images, on a plein de place pour coller des images de filles nues. Alors que la plupart des développeurs « classiques » abandonnent les uns après les autres la console et qu’il devient de plus en plus difficile de la trouver en magasins, elle se retrouve quasiment liée à un genre unique, telle la Dreamcast avec les shoot’em up : la Marty devient la console préférée des amateurs de jeux hentaï, RPG aux illustrations coquines ou simulateurs de drague.
En premier lieu parce qu’une belle quantité de jeux érotiques sont déjà sortis sur FM Towns, et qu’ils sont pour la plupart compatibles avec la Marty puisque guère complexes dans leur conception. Ensuite parce que nombre d’éditeurs indépendants vont sortir leur propres titres spécifiques à la Marty et ce jusqu’en 1999, tirant parti de ses capacités d’affichage bien supérieures à celle du NEC Super CD-ROM qui était jusqu’alors la plateforme de prédilection des fans de nymphettes à grosses poitrines. Parmi ces titres, une licence s’est fait une petite réputation grace à son gameplay et son background relativement travaillés, à tel point que des versions « édulcorées » ont été vendues sur des machines plus familiales telle la Super Famicom de Nintendo: Dragon Knight.
Véritable RPG aux combats au tour par tour, dôté d’un scénario plutôt bien écrit par rapport à un jeu de cul lambda, les jeux ont ensuite été adaptés en OAV qui, de leur côté, insistaient fortement sur le caractère coquin des rencontres entre les personnages. Les capacités de la console permettent d’afficher des illustrations très proches de la qualité d’un véritable dessin animé, et les otakus fans du genre ont donné à la Marty une seconde vie.
Après avoir vivoté pendant plusieurs années grace à ce marché, la Marty disparaît définitivement après 1999, date de sortie de son dernier titre. Assez rare et difficile à trouver en Occident, les collectionneurs doivent souvent débourser un prix d’or pour pouvoir se l’offrir ainsi que ses différents jeux, qu’ils soient coquins ou non. Suite à cet échec, Fujitsu ne sortira plus jamais de console de jeu vidéo.
Un grand merci à Joseph Dean de Fujitsu Limited pour son aide précieuse et sa disponibilité.
Tags: 16 bit, fm towns, fujitsu, marty, nec, PC
Merci kwyxz pour cet article et surtout pour avoir partagé avec nous tes pérégrinations enquêtrices.
Pour moi, cette « console », c’est comme la MSX : une machine lointaine dont je n’ai fait qu’entendre parler et je suis bien content d’en savoir enfin plus !
Holy shit, c’est de là que viennent les OAV Dragon Knight ? #mind #blown
Superbe ^^
alors là !
d’une je viens d’apprendre l’existence de cette console, mais en plus, l’article est super bien foutu, et se laisse lire tout seul :)
Bravo :D