Plus c’est long… plus dure est la chute ?
Par Shane Fenton • le 11/7/2012 • Entre nous •Ce qui devait être un commentaire au dernier post de Kwyxz a fini par devenir un post à part entière. Ce n’est pas vraiment une réponse, mais plutôt une digression ou un aparté, tiré de ma propre expérience, sur la longueur de certains jeux et sur ses conséquences.
Pour ma part, ce que je redoute le plus, ce n’est pas le temps passé sur le jeu : j’en suis à 200 heures sur Skyrim sans même avoir fait un cinquième de la quête principale. Sans oublier le temps passé sur Dragon Age : Origins et Mass Effect 2 (100 heures chacun), Risen et les trois Gothic (50 heures chacun), le premier Witcher, les trois Divinity, et j’en passe.
Je précise que je ne suis pas attiré exclusivement par les jeux « longs ». Il m’arrive aussi de picorer, et de trouver beaucoup de plaisir à essayer les dix premières heures d’un jeu avant de passer à un autre. Ou plutôt, il m’arrivait, parce que ces temps-ci, quand un jeu de ce genre débarque, je suis pris d’une sorte de frénésie qui me pousse à jouer à ça et rien qu’à ça jusqu’à en être complètement gavé (avec Skyrim, c’était flagrant).
C’est ma première crainte : pas tant la longueur du jeu que le fait de ne pas pouvoir contrôler ma « faim » d’y jouer. Attention, je ne parle pas « d’addiction », parce que je n’y consacre pas tout mon temps. Disons plutôt que le seul temps que j’y consacre, c’est mon « temps de jeu ». Pour être plus précis, quand Skyrim a débarqué, mon travail m’empêchait de jouer en semaine, donc je me rattrapais le week-end. Mais à chaque fois que je décidais de jouer, il fallait que ce soit celui-là, et celui-là uniquement. Cinq mois que ça dure…
Ma première crainte, c’est donc ma propre « faim ». Et ma seconde crainte, la plus importante et la pire de toutes, c’est de regretter tout le temps que j’ai passé devant un jeu. C’est d’y engloutir des dizaines d’heures pour me rendre compte, une fois dégrisé et gavé, que je les ai perdues pour rien.
Pour reprendre l’image de la « faim », il m’est arrivé d’être irrésistiblement attiré par un plat, à cause de la photo ou des ingrédients, j’étais pris de l’envie compulsive d’aller le bouffer… et une fois que c’était fait, je me sentais coupable de m’être fait avoir. Dans le cas d’un jeu de ce genre, mon estomac est remplacé par des dizaines d’heures de mon temps, mais la culpabilité est identique, et dans les deux cas, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même.
Le pire exemple qui me vienne en mémoire, c’est le premier Two Worlds : tant que je découvrais les mécanismes et que j’évoluais dans une petite partie de la carte, c’était merveilleux. Et puis il a fallu que j’explore le reste, pour me rendre compte que c’était plein de vide, et qu’à force de leveler, on devenait invincible. Plus aucun challenge, un monde vaste mais sans histoire et largement vide de sens, une grande variété d’adversaires, mais tous « éclatables » en une poignée de coups, le loot ultra-pénible, etc. Et ce n’est qu’au bout de 45 heures que je me suis rendu compte que je les avais perdues pour… ça ! Le pompon a été atteint à la toute fin du jeu : un « combat » expédié en trois clics, et en guise de récompense une vidéo de qualité aussi minable que les cinématiques précédentes (toutes réalisées avec le moteur du jeu). Cette expérience particulièrement désagréable m’a fait appréhender le deuxième épisode, sur lequel je n’ai passé qu’une toute petite poignée d’heures. Je n’ai plus envie de remettre la main dans un engrenage qui n’en vaut pas la peine.
Autre exemple : Dragon Age : Origins. Au début, je me suis éclaté comme jamais, grâce à la narration et aux dialogues que je trouvais absolument bluffants : un vrai film interactif. Sans oublier le plaisir de peaufiner ses tactiques devant les nombreuses vagues d’adversaires, et le plaisir de leveler pour acquérir de nouveaux sorts et compétences, ce qui permet d’expérimenter de nouvelles tactiques. Mon passage à Orzammar est de loin mon moment préféré : l’architecture de la ville des bas-fonds jusqu’aux quartiers huppés, les intrigues politico-familiales, la musique épique, l’exploration des profondeurs… un an après, je m’en souviens encore. Mais après des dizaines d’heures, le charme s’est rompu progressivement, jusqu’à ce que mon envie de jouer se transforme en dégoût de jouer. Ça a commencé dans la forêt de Bréciliane (que je trouvais laide et terne), et ça s’est accentué dans la ville de Ferelden, aux rues copiées-collées les unes sur les autres. Je me suis rendu compte que j’avais beau expérimenter plusieurs tactiques, on en revenait toujours à se coltiner les mêmes créatures, toujours dans les mêmes niveaux-couloirs qui reprenaient toujours les mêmes décors. Aucun regret pour le temps passé dessus, mais un écœurement tel que je ne voulais plus entendre parler, ni de Dragon Age, ni de quoi que ce soit qui se rapportait à son univers. C’est d’autant plus surprenant que j’ai passé autant de temps sur Mass Effect 2 sans jamais ressentir d’écœurement par rapport à son univers ou à son gameplay.
Heureusement, ce sont des exceptions. Je me suis baffré d’autres jeux, auxquels j’ai accordé l’exclusivité de mon attention, sans jamais le regretter. C’est le cas de Gothic 3, englouti en 2 semaines, 7 jours sur 7, sans aucun regret, si ce n’est celui d’avoir dû le terminer. C’est le cas de Risen, que j’ai tellement apprécié que j’y ai rejoué un an plus tard, en rejoignant une autre faction. C’est le cas de Morrowind, dont je me baffrais il y a exactement 10 ans avant de le laisser, puis de m’empiffrer à nouveau en recommençant la partie un an plus tard. Et tout ça sans jamais toucher, ou si peu, à la quête principale. Mais les mauvaises expériences relatées plus haut m’ont assez marqué pour que j’éprouve des réticences devant certains jeux qui me font pourtant envie (notamment les Eschalon, Geneforge ou Avadon). Encore une fois, la longueur me paraît être un faux problème et un faux prétexte. Mon problème numéro un, c’est la peur de perdre mon temps (alors que j’ai de moins en moins l’impression de pouvoir en disposer) et de m’en rendre compte trop tard.
Pour finir sur la mentalité de consumerist whore, il me suffit de me rappeler tout ce que j’ai claqué en soldes l’été dernier sur Steam, et de le mettre en parallèle avec ce que j’en ai fait en un an. A savoir que je n’ai pratiquement touché à rien. L’une des raisons étant que finalement, je ne voulais pas passer toutes mes vacances à jouer, et qu’après les vacances, je n’avais plus le temps (et pis Skyrim venait de débouler, alors…).
Sur ce, je retourne à mes angoisses existentielles et à mes contradictions. Bonne nuit, et bon(s) jeu(x) !
Tags: longueurShane Fenton est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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Article linké sur Gamekult, quel talent mon canard, quel talent.
Arrête, ma tête va être tellement enflée que je ne vais plus pouvoir passer les portes ! :)
Cette année, j’ai été sauvé de la ruine par le refus de ma banque de valider mes achats sur le Net avec ma carte (comme ça, pouf ! Même pas du jour au lendemain, mais plutôt d’une heure où ça marchait, à l’autre où ça ne marchait plus)
Tant mieux, ça me permettra d’essayer tout ce que j’ai acheté l’an dernier. D’ailleurs, j’ai déjà commencé.
Moi j’ai encore acheté plein de trucs. Mais j’ai commencé, par contre.
Le comportement des joueurs – ou plutôt acheteur – (disposant maintenant d’un pouvoir d’achat illimité comparativement à celui de leur jeunesse) lors des soldes Steam mériterait de la part de Gaming Since… une petite analyse sociologique.
En tout cas pour ma part, la principale raison de la diminution drastique du périmètre des jeux longs dans ma « vie » ludique est principalement due à la paternité. Et ça bizarrement, personne n’en parle (surtout dans l’article de Kwyzx qui tire des généralités).