Retroid Pocket 2S : mini prix, mais fait-elle le maximum ?
Par kwyxz • le 11/9/2023 • Entre nous •Mon premier PC fut un Presario 7170 Series 3324 de marque Compaq, acheté un beau jour de Novembre 1995. Il était supposé supporter Windows 95 mais, Microsoft ayant pris du retard pour fournir les constructeurs, était livré avec Windows 3.1. Les plus jeunes n’auront jamais entendu parler de Compaq, compagnie américaine depuis rachetée par Hewlett-Packard, mais à l’époque cette machine était relativement de bonne tenue : processeur Pentium à 90MHz, 8 Mo de RAM, 640 Mo de disque dur, lecteur de CD-ROM à quadruple vitesse, carte son SoundBlaster Pro et chipset graphique S3 Trio 64 avec 1 Mo de VRAM. Pour faire tourner les jeux du moment, elle faisait largement le job : Duke Nukem 3D, Big Red Racing, WarCraft 2, et surtout Sim City 2000 et Day of the Tentacle faisaient mon bonheur.
Tout du moins, elle l’a fait pendant environ six mois, jusqu’à la sortie du premier Quake. Il a ensuite fallu commencer à faire des concessions sur la résolution, la qualité de l’affichage, les détails, les jeux en 3D déboulant en masse avec l’apparition d’OpenGL dans l’informatique grand public (Direct 3D balbutiait encore) puis l’explosion des cartes accélératrices Voodoo de chez 3Dfx. Environ dix-huit mois après son achat, ma config ne faisait quasiment plus tourner une seule nouveauté. Les années 90 étaient un cauchemar pour le joueur PC peu fortuné que j’étais.
Je me suis alors tourné vers plusieurs alternatives :
- le rétrogaming, puisque j’avais quand même des foultitudes de classiques PC à découvrir
- Linux, parce que Windows 95 faisait quand même un peu ramer ma machine, que ça avait l’air golri et que d’après PC Team, on pouvait y jouer à Doom en multi sur une seule machine
- l’émulation, quand toujours via PC Team, j’ai découvert que je pouvais faire tourner des classiques de la NES ou de la Master System sur mon PC, ce qui semblait absolument fou à une époque où je n’avais toujours pas Internet à domicile
Ces trois alternatives sont devenues des passions, Linux est même devenu mon job à plein temps, et le rétrogaming et l’émulation sont intrinsèquement liées au point que j’ai désormais un backlog infini de jeux vidéo en attente d’être joués.
Dans la poche c’est mieux
Je me suis penché assez rapidement sur les possibilités offertes par les machines portables : la GP2X Wiz a fait mon bonheur un temps mais a malheureusement souffert d’un manque chronique de support par son constructeur, la GCW-Zero que j’avais crowdfundé promettait beaucoup mais au final a eu les mêmes soucis. Les deux machines utilisent en effet un OS nommé OpenDingux qui est une variante de Linux mais nécessitant un packaging par le constructeur des machines pour être mis à jour. Les émulateurs pour ces machines ne sont plus maintenus depuis des années, et pendant longtemps il fallait chasser les mises à jour sur d’obscurs forums PHP remplis de liens morts : on fait difficilement moins pérenne qu’un OPK hébergé sur MediaFire ou MegaUpload. Un site recensant la totalité de ce qui était disponible sur OpenDingux est finalement apparu mais celui-ci est également à l’abandon depuis plusieurs années.
Pourtant de nombreuses machines portables d’origine chinoise continuent de sortir et d’utiliser ce système ou des variations de celui-ci: à moins de vouloir utiliser des versions complètement périmées d’émulateurs, souffrant de problèmes de compatibilité avec de nombreux titres, fuyez-les comme la peste. Méfiez-vous également des reviews de machines d’émulation ne faisant aucune mention du système d’exploitation employé : fréquemment, celui-ci est un bidouillage impossible à updater ou remplacer, et vous êtes bloqué avec des émulateurs mis à jour au gré du constructeur, s’ils le sont. Parfois, comme avec la Miyoo Mini, des amateurs proposent carrément un nouveau système complet pour remplacer celui, merdique, proposé de base, mais celà implique de beaucoup bidouiller ce qui n’est pas évident pour quiconque voulait juste jouer à des vieux jeux.
Souvent, les journalistes de presse spécialisée ou les influenceurs à qui ces machines sont envoyées ne connaissent rien au domaine, et ne chercheront jamais à mettre à jour l’OS ou un émulateur pour corriger un problème de compatibilité. Ils lancent trois jeux au hasard avec la config fournie de base, ça marche, ils sont contents, et ils écrivent un article élogieux. Vous risquez de tomber de haut si le jeu préféré de votre enfance plante au boss de fin en raison d’un trop vieil émulateur sur votre console Anbernic toute neuve. Si le MAME installé de base sur votre machine s’appelle MAME4ALL, sachez qu’il est basé sur MAME 0.37b5, une version sortie le 28 juillet 2000, avant une complète révision du code source et du fonctionnement de MAME. Celà rend la version 0.37b5 idéale pour les petits périphériques peu puissants, mais c’est aussi la fête aux bugs sur beaucoup de titres.
Aussi curieux que celà puisse paraître, pendant longtemps la machine portable idéale pour l’émulation était la Playstation Vita. Design quasi parfait, système simple à utiliser, et scène extrêmement active, on y a vu apparaître des émulateurs allant jusqu’à la N64 et Dreamcast, aux performances parfois aléatoires pour ce dernier. Ceux-ci sont toujours mis à jour régulièrement, mais l’obligation de devoir hacker sa machine était un frein pour beaucoup. La relative faiblesse du CPU en revanche posait parfois souci et l’émulation SNES, entre autres, en a longtemps souffert.
La sortie ces dernières années de périphériques comme le Saint Steamdeck, la ROG Ally d’ASUS ou les configs d’Ayaneo a provoqué un chambardement : des machines portables capables d’aisément faire tourner de façon fluide Gamecube, PS2, Xbox et même Xbox 360 et PS3, voire Switch ! Mais leur prix, conséquent, et leur taille et poids ne les font pas boxer dans la même catégorie.
J’avais envie d’une machine qui tiendrait dans la poche, serait pérenne, et me permettrait de faire tourner mes jeux correctement. Suite à l’annonce par Retroid de la sortie de la Retroid Pocket 2S, qui était peu ou prou le hardware de sa Retroid Pocket 3, une console d’émulation tournant sous Android, mais dans une coque plus petite, j’ai sauté le pas surtout que le prix était assez sympa.
Y’a quoi là-dedans ?
Évacuons rapidement la question des specs : on s’en fout de savoir quels CPU/GPU sont là-dedans, ce qu’on veut savoir c’est jusqu’à quelle génération de consoles on peut émuler. La machine existe en deux versions, une dotée de 3Go de RAM et 32Go de stockage à $99, l’autre de 4Go de RAM et 128Go de stockage à $119. J’ai opté pour la deuxième, un peu plus chère, mais je le regrette. Si vous ne voulez qu’émuler, la première fera largement le job, la RAM supplémentaire pouvant être utile pour les jeux natifs Android, ce qui pourra vous intéresser si vous avez déjà un téléphone Android sur lequel vous avez des jeux. De plus, l’accès au stockage interne ne se fait qu’en MTP via un câble USB-C (fourni) et est lent à crever. Il est bien plus rentable, avec les $20 économisés, d’acheter une Micro-SD de 256Go que vous pourrez remplir directement depuis votre PC/Mac beaucoup plus rapidement.
Le grand avantage de cette machine, c’est bel et bien de tourner sous Android 11. Le système est toujours maintenu et mis à jour. La plupart des émulateurs sont disponibles directement sur le Google Play Store, sont simples à mettre à jour et à trouver. Les quelques qui ne sont pas sur le store sont accessibles très simplement dans une version compatible : je pense notamment à Retroarch ou Redream dont on peut directement récupérer les .APK sur les sites officiels. Si vous êtes familier avec Android, vous serez comme à la maison. La navigation se fait soit via l’écran tactile, soit en utilisant les contrôles : ceux-ci répondent très bien, la croix est agréable, les sticks analogiques également, les microswitches font un clic satisfaisant, la prise en main est aisée et surtout la machine tient vraiment dans une poche : elle fait la taille d’un smartphone, en étant toutefois un peu plus épaisse.
Le gros inconvénient de cette machine, c’est aussi… de tourner sous Android. Je l’ai dit plus haut, l’accès au stockage interne se fait en MTP : pas d’accès possible de base en SSH, SMB ou FTP. Si l’on désire utiliser ce stockage, il faut se taper cet abominable protocole archi-lent, peu pratique et subir de fréquentes déconnexions. Raison de plus de tout coller sur une carte SD.
Autre problème : si les émulateurs sont disponibles sur le Google Play Store, celà signifie qu’il faut aussi composer avec cette foire à la saucisse qu’est le Google Play Store. Exemple, en cherchant « N64 Emulator », difficile de savoir ce qui est légitime et ce qui est potentiellement une source de malware.
On devra donc faire ses devoirs correctement et soit aller directement chercher les .APK à la source, soit se renseigner pour savoir ce qui est correct, et ce qui à l’inverse relève de l’escroquerie. Chose parfois complexe comme lorsque l’émulateur PlayStation 2 de référence, AetherSX2, a connu un développement compliqué : initialement l’oeuvre d’un unique développeur nommé Talreth, celui-ci a été victime d’une inopinée catastrophe, qu’on appelle également « la commu des gamers ». Le gars, sur son temps libre, développe un fork de PCSX2 autorisé par les devs d’origine, qu’il distribue gratuitement et sans pubs ni malwares. Mais comme il a eu le malheur de ne pas instantanément proposer un émulateur qui fasse tourner à 60fps et sans bugs la totalité de la ludothèque PS2 sur des téléphones Android à $100, il s’est mangé des pages et des pages d’insultes sur Reddit jusqu’à des menaces de mort, avant de finalement jeter l’éponge. Résultat, le développement a depuis été repris par on ne sait pas qui, l’émulateur trouvable sur le store est blindé de pubs et il faut aller chercher le dernier .APK officiel sans pubs sur l’Internet Archive. Merci les débiles.
Strictement aucune documentation n’est offerte par le constructeur, à part un papier glissé dans la boîte indiquant quels boutons font quoi. Pour débuter, n’étant pas familier avec Android, j’ai donc suivi les excellents guides du site RetroGameCorps et je recommande grandement de faire de même, afin de savoir quels émulateurs valent le coup d’être téléchargés, voire achetés.
Mais du coup on émule quoi ?
En fonction du jeu, la Retroid Pocket 2S peut émuler jusqu’à la PlayStation 2 / Gamecube.
Pour une machine à moins de cent balles, c’est assez inespéré. Bien évidemment, n’espérez pas de miracles : vous ne ferez pas tourner F-Zero GX à 60fps. En revanche, non seulement il se lance mais il est aussi assez jouable pour peu que l’on coupe le son. Concession pas forcément indispensable pour le reste de la ludothèque Gamecube, c’est au cas par cas : 1080 Avalanche par exemple tourne vraiment très bien, avec le son, et c’est un réel plaisir d’y jouer sur le petit écran en mode portable. Du côté de la PS2, c’est un peu pareil. ICO tourne très correctement, Gran Turismo 4 largement moins.
En revanche, à partir de la Dreamcast et toutes les machines antérieures, c’est la teuf. Soul Calibur, Capcom Vs. SNK 2 et Daytona USA tournent parfaitement via Redream. La plus grosse surprise, c’est la Saturn, historiquement extrêmement demandeuse en ressources, qui tourne aussi très bien via le portage de YabaSanshiro : Sega Rally et Panzer Dragoon dans la poche, comme ça, hop.
Il suffit de configurer RetroArch pour utiliser Vulkan et on peut activer des shaders pour un rendu agréable à l’oeil. Bien évidemment, n’espérez pas utiliser les shaders HyperSpace Madness, mais un simple crt-geom-deluxe donne aux jeux rétro un charme fou, qu’il s’agisse de titres d’arcade ou de SNES / Megadrive.
Du côté de l’interface, le frontend proposé par Retroid fait le job, même si on déplorera évidemment l’absence totale de documentation venant du constructeur. Se reposer entièrement sur la bonne volonté de la communauté pour écrire la doc est une attitude vraiment limite. À l’heure où j’écris ces lignes, aucune instruction en ligne n’est à jour pour traiter de la 2S spécifiquement. J’ai de fait opté pour l’installation d’un autre frontend, nommé Daijishō (disponible directement via le store) qui non seulement est largement documenté quelle que soit la machine, et rappelle un peu l’interface d’EmulationStation qui m’est familière via le Steamdeck.
En revanche, celui-ci n’est pas très efficace pour ce qui est du téléchargement automatique des jaquettes / screenshots des jeux. Il m’a donc fallu ruser avec Skraper depuis mon PC, pour que celui-ci pousse les fichiers media via MTP sur la machine, pour ensuite les importer dans Daijishō. Un peu relou, mais pas infaisable pour quiconque n’a pas peur de bidouiller.
En conclusion, ce qui fait la plus grande force de la machine est aussi peut-être sa grande faiblesse. D’un point de vue purement technique, celle-ci est tout à fait capable tant l’on désire jouer à des jeux Dreamcast ou plus ancien. Du point de vue software, son appartenance à l’écosystème Android garantit des mises à jour au moins du point de vue des émulateurs, et peut-être avec un peu de chance de l’OS lui-même. Son interface en revanche laisse parfois à désirer, qu’il s’agisse de l’UI d’Android lui-même, ou de l’absence inadmissible de documentation du launcher officiel Retroid.
Alors on achète ou pas ?
Si l’idée même de mettre à jour un émulateur sur une machine portable vous paraît saugrenue, et que vous vous en foutez si certains jeux ne fonctionnent pas, ou mal, il y a des tas de merdouilles encore moins chères qui vous tendent les bras.
Si en revanche vous n’avez pas peur de parfois devoir fouiller RetroGameCorps pour comprendre comment faire quelque chose, c’est une machine formidable que je ne saurai trop vous recommander. En tout cas moi, je suis conquis, et ma Vita hackée risque bien de vite prendre la poussière.
Merci pour le topo !
Merci pour l’article et les conseils.
J’approuve le choix de la Steam Deck et d’une plus petite console portable à côté :)
Très intéressant merci ;-)