Genre: Action • Editeur: Warner Bros. Games • Date de sortie: 21 avril 2022
Gotham Knights
Par kwyxz • le 12/2/2024 • À la une, PC, PlayStation 5, Tests & previews, Xbox Series • Exemplaire du jeu payé avec nos sous •Sept ans après la sortie de Batman: Arkham Knight, longue fut l’attente pour retrouver la Bat-Family. Placé dans son propre canon, indépendant de la série de Rocksteady, il était pourtant difficile, voire impossible, pour le Gotham Knights de Warner Bros. Games d’éviter les comparaisons. Et celles-ci, de manière fort prévisible, furent relativement dures. Avec plusieurs mois de recul, ces critiques étaient-elles fondées ? Gotham Knights parvient-il à tirer son épingle du jeu ou n’est-il condamné qu’à vivre dans l’ombre des jeux Arkham ?
Dur dur d’être DCD
Bruce Wayne est officiellement mort. Pris dans l’explosion de la Bat-cave, qu’il a lui-même déclenchée afin d’y enterrer à tout jamais Ra’s Al-Ghul, le chevalier noir a officiellement passé l’arme à gauche, ainsi que son alter-ego milliardaire et playboy. Le décès de Bruce Wayne est d’ailleurs présenté au public de façon un peu obscure, inimaginable de se dire que l’investigation ne cherchera jamais à découvrir ce qu’il y avait sous le manoir Wayne, mais ainsi va la vie à Gotham City. L’absence de Batman se faisant de plus en plus criante, un paquet de criminels comprennent vite que lui aussi est mort, sans qu’un seul d’entre eux fasse le lien avec le seul type capable de financer ses super gadgets, ce qui aurait pour conséquence d’immédiatement démasquer Tim Drake ou Dick Grayson, puisque contrairement aux comics ce dernier décide de rester Nightwing et de ne pas endosser la cape de l’homme chauve-souris. Mais peu importe, on est déjà à deux énormes suspensions d’incrédulité et le jeu n’a même pas encore commencé.
La Bat-family, composée des deux enfants adoptifs sus-cités, de Jason Todd et Barbara Gordon (dont le père est lui aussi récemment disparu) se retranche dans le Beffroi, immense tour trônant au centre de Gotham et servant de base secrète depuis l’écroulement de la Bat-cave. Alfred Pennyworth est lui aussi de la partie, servant à la fois d’éminence grise et de gentil tonton protecteur et de bon conseil. Tout ce beau monde va s’affairer à tenter de résoudre la dernière enquête sur laquelle travaillait Batman, et tirer au clair une série d’événements mystérieux impliquant une société secrète jusqu’ici considérée comme un mythe. Le scénario tire un peu en longueur et manque de vrais moments épiques, certains combats de boss sont sympathiques mais on peine vraiment à ressentir quelle est la vraie menace que peut faire planer la Cour des Hiboux, puisque c’est bien elle, sur la ville.
Arkhamou
Le joueur est invité à sélectionner un protagoniste parmi les quatre (il sera possible d’en changer régulièrement par la suite) et est lancé dans le feu de l’action, lors d’une prise d’otages à l’université de Gotham. Ce niveau fait office de didacticiel afin de découvrir les commandes et les possibles approches : attaques au corps-à-corps permettant également d’approcher par surprise derrière un ennemi, attaques à distance utilisables pendant un combo, capacités supplémentaires à débloquer. Les combats sont malheureusement assez mous, manquent de pêche, le système d’esquive est moins bien pensé que les contres de la série Arkham, qu’il est absolument impossible de ne pas comparer. Une fois la carte vidée de ses objectifs, un retour à la base permet d’obtenir de nouveaux indices, permettant d’aller résoudre de nouvelles affaires la nuit suivante. L’idée en soi n’est pas mauvaise, donnant un sentiment de vigilantisme routinier dans une ville littéralement gangrénée par le crime, mais dans les faits se résume souvent à de longues séances de grind. Eh oui, nos personnages ont des niveaux d’expérience, ainsi que les ennemis. Ceux-ci toutefois montent en expérience à la même vitesse que le héros, rendant ce choix de design assez étrange et au final assez superflu.
Ce qui en revanche aurait gagné à être superflu, c’est l’équipement et son craft, extrêmement pénible à utiliser la faute à des menus peu ergonomiques, et encore plus à équiper : s’il est compréhensible que, par souci de réalisme, il soit impératif de se trouver au Beffroi entre deux nuits à rôder dans Gotham pour s’équiper de l’équipement nouvellement construit, cette exigence se retrouve dans le même jeu qui permet à Dick Grayson de faire littéralement se téléporter une aile volante lorsqu’il a besoin de se déplacer dans les airs. Les dissonances narratives sont malheureusement présentes un peu partout dans le titre, et contribuent à un manque cruel d’immersion : dommage, lorsque l’on joue en solo, que les trois autres membres de la « famille » restent à se tourner les pouces au Beffroi. Une équipe dirigée par IA aurait été appréciable, surtout vers la fin du scénario quand un travail collectif aurait semblé absolument naturel au vu de la menace affrontée…
Menu B12
J’ai mentionné plus haut les menus du jeu, effroyablement touffus et mal fichus. Après environ une quarantaine d’heures de jeu, il m’arrivait encore de me tromper de touche entre L1/L2 et R1/R2 : ceux-ci sont en effet inversés à l’écran par rapport à leur position sur la manette, un choix d’UX incompréhensible. Les « mods » que l’on peut ajouter pour améliorer son équipement remportent la palme de la fonctionnalité la plus mal expliquée du jeu : parfois, une simple pression sur le bouton refusera tout bonnement d’activer la chose alors qu’en principe elle doit y parvenir. Il faut par moments valider quatre voire cinq fois l’ajout d’une de ces améliorations pour que le jeu les prenne en compte. Les « transmogs » qui permettent de complètement modifier l’apparence des personnages sont débloqués selon un mécanisme qui m’est encore opaque alors que j’ai terminé le jeu et y ai passé de longues heures.
Traverser la map se fait durant les premières heures en utilisant la Bat-cycle : une moto à la conduite jamais fun, aux sensations de vitesse inexistantes, et trop lente pour réellement être appréciable. On va quasiment aussi vite en utilisant à répétition le grapin. Le fast-travel se débloque beaucoup trop tard, environ à la moitié du jeu, et est agrémenté d’une animation impossible à zapper qui devient rapidement répétitive. J’ai mentionné plus haut l’aile volante – par ailleurs peu maniable – de Nightwing. Elle aussi devra être débloquée après avoir accompli quelques challenges que le jeu invite à accomplir, eux aussi autre prétextes au grind. Les autres personnages ont leur propre capacité de vol, Batgirl pourra déployer sa cape comme le Batman des Arkhan, Jason Todd aura un sympathique bond mystique très cool, Tim Drake aura un système de téléportation complètement incompréhensible que j’ai fini par ne jamais utiliser.
Le Bat harangue
Au moment de conclure, je me rends compte que j’ai beaucoup insisté sur les éléments négatifs du jeu. On ne peut pas reprocher à Warner Montréal d’avoir essayé de proposer quelque chose de différent : l’héritage de la série Arkham condamnait quasiment d’avance le titre à décevoir, et la bonne volonté derrière plusieurs idées est indéniable. Le système de combat, par exemple, témoigne de cette tentative de ne pas chercher à affronter frontalement les jeux de Rocksteady. Fort malheureusement, le jeu ne s’éloigne pas suffisamment de ses ainés pour éviter la comparaison et aurait gagné à beaucoup plus s’en démarquer. Peut-être, un tournant radical vers du full RPG (comme à pu le faire la série des Yakuza / Like A Dragon) eut été salutaire ? En l’état, on est malheureusement face à un titre dont les combats, le monde ouvert, les déplacements aériens, le scénario, le punch, l’équipement ou encore les véhicules sont directement comparables, et tous inférieurs à ce que proposait Arkham Knight.
Gotham Knights ne manque pas de bonnes idées, mais peine à les exploiter. Les interactions entre les personnages, mettant en avant leurs individualités et expliquant leurs différences, y compris en terme de gameplay, sont réussies, mais beaucoup, beaucoup trop peu nombreuses. Un joueur ne connaissant pas spécifiquement le lore derrière Red Hood / Jason Todd passera largement à coté de l’ambivalence du personnage, et n’y verra qu’un type bourru désagréable avec les autres sans trop de raisons. Le passage labyrinthique de la Cour des Hiboux avec les pièces mouvantes est bon, mais largement moins marquant que celui du Control de Remedy dont il semble pourtant s’inspirer. En tentant de faire vivre au joueur le sentiment de routine que peuvent ressentir les justiciers de l’ombre, Gotham Knights parvient surtout à imposer une monotonie un brin lassante plus qu’une aventure épique et riche en rebondissements. Les quelques efforts d’insuffler une vie à cette ville submergée par le crime ne suffisent pas à rendre le tout passionnant. Peu recommandable à prix fort, ce jeu pourra contenter un temps les fans des personnages, à condition qu’ils le trouvent vendu à prix massacré.
Pêchant dans son écriture, son gameplay et sa réalisation, Gotham Knights offre malheureusement trop peu au vu de ses ambitions et aurait gagné à fondamentalement bouleverser une formule à laquelle il n'est pas en mesure de se comparer. Ces écueils sont-ils dûs à un développement gangréné par des impératifs venus tout droit de l'éditeur, ou à un projet condamné dès son inception ? Un post-mortem fort utile pourrait le dire.