Genre: Action-RPG • Editeur: Kalypso • Date de sortie: 2013
The Dark Eye : Demonicon
Par Shane Fenton • le 22/9/2014 • PC, Tests & previews • Exemplaire du jeu payé avec nos sous •Pour ceux qui ne le connaissent pas, L’Oeil Noir (Das Schwarze Auge en VO) est l’équivalent allemand de Donjons & Dragons : LE jeu de rôle papier qui a initié et enchanté toute une génération Outre-Rhin, sinon deux. Il y a eu une tentative dans les années 80 pour l’exporter chez nous, en le vendant comme une extension aux « Livres dont vous êtes le héros » qui faisaient fureur à l’époque (on l’a ainsi baptisé « jeu dont vous êtes le héros). Et ça a suffisamment marché pour que certains d’entre nous achètent les livres édités par Folio Junior, et surtout la boîte Initiation au jeu d’aventure (que votre serviteur a découverte au hasard d’une braderie).
En tout cas, les déclinaisons en jeu vidéo de L’Oeil Noir ont rencontré un certain succès. Il y a eu d’abord l’antique trilogie des Realms of Arkania, mélange de vue subjective à la Dungeon Master et de combats isométriques au tour-par-tour qui avait fait une bonne impression il y a 20 ans. Après un long hiatus, c’est l’excellent RPG à l’ancienne Drakensang qui a repris le flambeau en 2009, suivi par sa préquelle (River of Time) et par sa déclinaison online. On citera également deux point&click, Chains of Satinav et sa suite Memoria, qui ont très bien été accueillis. On mentionnera dans la foulée BlackGuards et le remake de Realms of Arkania, qui ont moins convaincu. Et bien sûr l’action-RPG Demonicon, qui nous intéresse plus particulièrement (NB : ce test est à présent visible sur Merlanfrit).
Intro, boulot, dodo ?
Les premières minutes sont assez décevantes. Passé la vidéo d’introduction, on se retrouve dans une grotte. Le personnage qu’on incarne, Cairon, est en plein dialogue avec son père. Il doit partir à la recherche de sa soeur Calandra, qui s’est enfuie afin d’éviter un mariage arrangé. C’est l’occasion de découvrir le gameplay et l’interface, face à des ennemis assez faibles. Mais il n’y a rien d’enthousiasmant là-dedans. Tout est banal, réchauffé, cliché, depuis le couloir qui nous sert de grotte jusqu’aux personnages. Mention spéciale à Cairon et Calandra, caricature du couple « jeune trentenaire musclé + rouquine en chainmail bikini » (bon, j’exagère, disons que c’est une armure qui ne protège pas tout…), sauf que le premier a une tronche de navet et que la seconde ne vaut guère mieux. Et puis je veux bien que le couloir… pardon, la grotte, soit quelque peu banale puisqu’il s’agit d’un tutorial. Mais quand on apprend que c’est le creux d’une « montagne » qui contient de vastes trésors et des secrets terrifiants, on reste vraiment sur sa faim (pour la petite histoire, on pénètrera à nouveau dans cette grotte et on en découvrira un peu plus au fil de l’aventure). Heureusement, dès qu’on monte à la surface, les choses s’améliorent quelque peu.
Ach ! le Geralt, gross malheur !
On arrive à la ville de Warunk. La comparaison avec The Witcher vient immédiatement à l’esprit. Le monde dans lequel on évolue est sombre, ravagé par la guerre, la peste et la corruption (on est très loin de l’univers coloré et merveilleux de Drakensang, pourtant basé sur le même monde). On traverse les abris de fortune, les bouges aux ruelles crasseuses, les marchés à peine mieux tenus, les jolies maisons médiévales en pan de bois. On côtoie la canaille et la noblesse, laquelle n’est pas moins « canaille » que la vraie. On se heurte aux soudards qui constituent la garde, et aux Paladins arrogants. On accepte divers contrats rassemblés sur une pancarte. Et pour pouvoir accéder aux quartiers les mieux fréquentés, il est nécessaire de rendre des service à des factions aussi douteuses les unes que les autres.
Constamment, on fait des choix, qui ont des conséquences sur la suite de l’aventure : entre une faction ou une autre, entre une décision ou une autre. Par exemple : un preneur d’otages, une fois vaincu, nous apprend qu’il est « lié » avec ses victimes, de sorte que si lui meurt, elles aussi. Faut-il le tuer pour l’empêcher de nuire à nouveau, ou le laisser filer pour que les otages rentrent chez eux sains et saufs ? Chacun de nos choix est sanctionné par une vidéo, ou plutôt une succession d’illustrations reliées entre elles par un narrateur à la voix grave (même si des fois, on a droit à une cinématique un peu plus pêchue, notamment au début et à la fin).
La feuille de personnage, issue de L’Oeil Noir, est assez copieuse. Il n’y a pas de niveaux : on engrange des « points d’aventure » quand on terrasse des adversaires ou qu’on remplit une mission. Ces points d’aventure sont nécessaires pour augmenter ses caractéristiques (force, dextérité, intelligence…), les compétences associées (crocheter des serrures, désamorcer des pièges, préparer des potions, cueillir des plantes…), et les attaques spéciales accessibles par combos (coup tournoyant, frappe mortelle…). A noter que les compétences « sociales » sont importantes, car on ne peut pas cueillir certaines plantes, ni ouvrir certains coffres, si on n’a pas atteint le niveau requis. De plus, à chaque fois qu’on met la compétence associée en pratique, cela permet de faire gagner des points d’aventure supplémentaires, d’ouvrir d’autres options de dialogue, et même d’obtenir un rabais chez les marchands. En parlant de marchands, ceux-ci vendent quelques armes, armures, améliorations et composants pour potions alchimiques. Mais à dire vrai, quand on réussit une mission, on obtient en récompense un équipement suffisant pour ne pas avoir à racheter autre chose.
Outre le combat et les compétences sociales, la magie, quoique restreinte, joue un rôle important. On apprend assez vite que Cairon a hérité du pouvoir d’un démon, et qu’il dispose d’un petit nombre de sorts : il peut geler ses adversaires, les empoisonner, les enflammer et les projeter au loin. Il peut également rentrer en transe pour augmenter sa vitesse tout en ayant autour de lui un bouclier de protection. A chaque fois qu’il utilise ses pouvoirs, il engrange des « points de magie » qui lui seront nécessaires pour débloquer les niveaux de sort suivants, ainsi que quelques améliorations. Là encore, on ne peut s’empêcher de penser au sorceleur Geralt de Riv et à ses signes (Aard, Ignii, Quen…), même si la progression de Cairon est plus dynamique et « interactive ».
Dans la pratique, on retrouve encore l’influence des Witcher (surtout le 2) dans les combats : roulades, attaques, sorts, roulades, et encore roulades. Certes, on peut boire des potions en combat, et on dispose de frappes spéciales (qui drainent l’endurance, mais permettent de recharger la magie). Mais pour éviter les attaques des ennemis, il n’y a pas 36 solutions, il faut rouler, frapper au moment opportun, puis rouler encore. Personnellement, ça ne m’a pas gêné, et j’ai apprécié ce système de combat qui, s’il ne vaut pas Kingdoms of Amalur : Reckoning, est tout de même bien plus dynamique qu’un Skyrim, par exemple.
Witcher au rabais ?
On se retrouve au final devant un curieux mélange de beauté et de laideur, avec tout plein de bonnes idées gâchées par amateurisme. Et très souvent, la comparaison avec la saga de CD Projekt s’impose. Cairon n’est pas Geralt, Calandra n’est pas Triss Merigold, Azaril (l’une des principales antagonistes) n’est pas Sheala de Tancarville, et Warunk n’est pas non plus Wyzima. Certes, les faubourgs de la ville sont réussis dans le genre « médiéval-gothique », particulièrement les bas-fonds aux ruelles sombres éclairées par des lanternes rouges évocatrices. Mais l’horizon montagneux n’est rien d’autre qu’un vulgaire papier-peint qui n’aurait pas dépareillé dans le premier Half-Life. Heureusement, il y a d’autres lieux à visiter. Par exemple, les marais, dans lesquels on pénètre le temps d’un chapitre, qui dégagent une atmosphère putride et poisseuse à souhait. Sans oublier le chapitre 4 et son monastère à l’architecture gothique impressionnante, dont la blancheur éclatante des murs contraste avec le bleu du ciel et le rouge vif du sang versé.
Comme nous l’avons vu, tout au long du jeu, l’ambiance est au désespoir, et on se rend assez vite compte que souvent, on n’a le choix qu’entre deux mauvaises solutions. Mais là encore, cette idée est mal exploitée, car nos décisions ne se répercutent pas toujours sur le très long terme. Pour ma part, j’ai pu jouer tour à tour les preux chevaliers et les ruffians sans me soucier de cohérence, au gré de mes humeurs, sans que mes retournements de veste ne me portent un quelconque préjudice. Un exemple parmi d’autres : arrivé au chapitre 4, j’ai le pouvoir de modeler une église selon mes propres idées, et donc d’influencer le comportement de « mes » ouailles pour les générations à venir. Je peux ainsi décider si les fidèles doivent ou non se faire baptiser, se marier, se confesser, se faire ordonner prêtres. L’idée me plaît et je me prends au jeu. Jusqu’à ce qu’au terme du chapitre, on me laisse le choix entre diffuser ma doctrine ou l’abandonner complètement, parce qu’elle m’entraînerait plus ou moins sur la voie du mal. La seule différence entre les deux décisions ? Un bout de cinématique, décrivant l’arrêt de mon culte, ou au contraire l’expansion des fidèles. C’est tout. Et très souvent, on ne voit aucune conséquence de nos choix dans le jeu, puisqu’une fois qu’ils sont faits, on quitte la zone concernée et on passe à autre chose. C’est fort dommage de proposer autant de bonnes idées si c’est pour ne pas les exploiter ensuite.
Jusqu’à présent, je n’ai pas beaucoup parlé de l’histoire. Disons que pour de la Fantasy, c’est plutôt bien pensé et bien amené. Votre but n’est pas tant de sauver le monde que votre âme et celle de votre « soeur », puisque vous avez hérité de pouvoirs démoniaques à la naissance, tout comme vos autres « frères » qui constitueront les principaux antagonistes des chapitres successifs de l’aventure, aux côtés de la prétresse Azaril, qui a présidé cette messe noire à l’époque. Quant au monde dans lequel vous évoluez, vous pouvez à peine contribuer à le rendre un peu moins pourri, ou du moins vous pouvez essayer, avec des résultats divers selon les choix que vous ferez. Bon, au final, il va quand même falloir le sauver, parce que le boss final est un puissant démon qui risquerait de causer un peu trop de grabuge s’il était laissé en liberté. Mais c’est là que l’ultime bât blesse : on arrive à la fin de l’aventure au bout d’une petite vingtaine d’heures, le boss en question n’est pas spécialement un challenge pour peu qu’on ait atteint un haut niveau, et le résultat de tous ces efforts est une fin en eau de boudin narrée par une cinématique minable, qui rappelle non pas The Witcher (pour une fois), mais le premier Two Worlds. Ou si vous préférez une référence plus actuelle, la fin de Mass Effect 3 sans l’Extended Cut. En gros, vous faites un ultime choix, sanctionné par un ultime sacrifice, et… c’est tout ! Vous ne voyez absolument rien des conséquences de vos choix, pas plus le dernier que les précédents. Le jeu se termine sur un défilé d’artworks et de crédits, et on se retrouve gros-jean comme devant.
Et pourtant, j’aimerais quand même vous recommander Demonicon. Parce que malgré tous ses défauts et ses maladresses, malgré la comparaison parfois cruelle avec The Witcher, ce jeu a un véritable charme, et une personnalité propre. Personnellement, je ne regrette pas le moins du monde les vingt heures que je lui ai accordé. Je ne me suis pas ennuyé une seconde, plus d’une fois l’univers m’a pris au tripes, et j’en conserve un excellent souvenir. Il faut dire que je ne l’ai pas payé plein pot, mais à l’occasion des soldes Steam, donc cela permet de rentabiliser la vingtaine d’heures. Mais il y a autre chose : on peut le considérer comme une pâle copie des Witcher, il n’en reste pas moins que les jeux de leur trempe (action-RPG dans un univers sombre) sont plutôt rares, et qu’il ne faut pas trop bouder son plaisir. Mieux encore : The Witcher 2 a beau être infiniment supérieur sur pratiquement tous les points, aussi surprenant que cela puisse paraître, j’ai parfois l’impression de m’être plus amusé devant Demonicon. En particulier, les combats m’ont paru bien plus prenants. Quoi qu’il en soit, laissez-lui sa chance, il en vaut la peine.
Un bon petit action-RPG à l'ambiance sombre et gothique à souhait, dans l'ombre du Witcher. Un peu court, un peu inachevé aussi, souvent maladroit, mais très prenant malgré tout. Si le Sorceleur vous manque, passez quelques heures dessus, vous ne le regretterez pas.
Shane Fenton est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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Tiens, j’en ai un, de bouquin « L’Œil Noir ». À l’époque j’étais super fan des « Livres dont vous êtes le héros » et j’en avais acheté un au pif sans trop faire gaffe. Si je me souviens bien tout seul c’était injouable, donc j’étais bien deg.
Ah non ça y est je me souviens : j’avais acheté « La fille du Calife », soi-disant une extension solitaire, sauf qu’il fallait le livre des règles. Que je n’avais pas. Donc injouable. Donc deg.
Et bien merci, ça donne assez envie. Je n’en avais pas du tout entendu parler.
Mais alors, en priorité je fais quoi : Kingdom of Amalur ou Demonicon ? (Sans parler du prochain Witcher qui arrive, ça devient dur de suivre…)
A mon avis, tu devrais commencer par Demonicon, parce que c’est plus court et peut-être plus « intense ». Amalur, ça va te prendre facilement 60 à 80 heures, voire plus. C’est le genre de jeu avec lequel je me goinfre 5-6 heures par session jusqu’à saturation complète. Un vrai Meuporg solo.