On jouait déjà avant ta naissance, donc on a raison

Allemagne : la tuerie de Munich a-t-elle ressuscité le Killerspieldebatte ?

Par • le 1/8/2016 • Entre nous

Jusqu’à récemment, en Allemagne on n’entendait quasiment plus parler de polémique concernant les « killerspiele ». Le mot en lui-même était discrédité, et si on abordait le sujet, c’était sur le mode documentaire, historique, voire archéologique. Justement, il y a peu, je présentais sur ce site la traduction d’un article du Spiegel qui se demandait ce que le « killerspieldebatte » était devenu.

Cependant, la donne semble avoir changé. Pas tellement à cause des attaques terroristes, car même si certaines personnes pensent que la fascination des djihadistes pour la violence a été alimentée par certains jeux vidéo du type Call of Duty ou Grand Theft Auto, on est très loin de l’attention accordée à leurs motifs politiques et religieux (sans parler de leur parcours familial, social, scolaire, etc.). En revanche, la fusillade de Munich, survenue le 22 juillet, est d’une autre nature. Sans lien apparent avec Daech, il s’agirait plutôt d’un Amoklauf classique, de la part d’un jeune homme fasciné par les tueries de masse façon Columbine ou Utøya, qui aurait, de surcroît, joué à des jeux vidéo « violents ».

Dans ces conditions, il était sans doute inévitable que la violence vidéoludique revienne sur le devant de la scène. C’est chose faite avec les récentes déclarations du Ministre Allemand de l’Intérieur, Thomas de Maizière, qui a pointé du doigt « le nombre insupportable de jeux glorifiant la violence sur l’internet, nocifs pour le développement des jeunes. ». Comme on peut s’en douter, il est suivi de près par les adversaires habituels des « killerspiele », pour qui l’occasion est vraiment trop belle après toutes ces années de vaches maigres. Et certains évènements en rapport avec l’eSport ont été annulés ou modifiés pour ne pas faire la promotion de FPS en ces temps de deuil (à mettre en parallèle avec la tuerie d’Orlando, qui avait fortement plombé l’ambiance lors de l’E3 cette année).

Munich, recueillement après la tuerie

Cela dit, il faudra attendre encore un peu avant qu’on parle de véritable résurrection du « killerspieldebatte ». En effet, pour l’instant, dans le monde politique, seul Thomas De Maizière s’est exprimé contre la violence vidéoludique, et quand on regarde de plus près, ce n’est que de la gueule. On pourrait également souligner que les pratiques vidéoludiques du tueur n’ont été confirmées que par une seule et mystérieuse « source policière », mais depuis l’époque où Super Mario 2 était accusé d’avoir inspiré un preneur d’otage, on sait qu’il suffit d’un rien pour déclencher une hystérie politique et/ou médiatique. Dans tous les cas, il n’y a pas de projet de loi concret, ni de demande significative, d’interdiction des jeux « violents ».

A vrai dire, même parmi les opposants déclarés aux « killerspiele », qui ne sont déjà guère nombreux, on a cessé d’y croire. Selon l’un d’entre eux le journaliste Christian Füller, « personne ne peut interdire ces jeux. Le Ministre de l’Intérieur (CDU) Thomas de Maizière ne le peut pas, La chancellière ne le peut pas, et même l’Empereur de Chine risquerait de s’y casser les dents. C’est le propre de quelque chose qui est disponible sur Internet. »

Du coup, la seule revendication qui ait encore une petite chance d’être réalisée, c’est qu’une discussion ait lieu à propos de la violence vidéoludique. Et encore… Selon mes correspondants du forum de la VDVC (l’association allemande des joueurs), même ce souhait semble utopique. En particulier pour Matthias Dittmayer, ancien fondateur du blog Stigma-Videospiele, que j’ai interrogé à ce sujet :

Mon impression est que la majorité des journalistes allemands ne voient plus l’intérêt de discuter des « killerspiele ». Dans chaque article [que j’ai lu], ils mettent tous en garde contre une résurgence d’une telle discussion. La seule exception étant Christian Füller. Je ne pense même pas que les médias allemands en auraient parlé s’il n’y avait pas eu la déclaration de De Maizière. Par ailleurs, je ne pense pas que les politiciens allemands soient enthousiastes à l’idée de créer une nouvelle interdiction, à supposer qu’ils l’envisagent. Les jeux vidéo sont « officiellement acceptés » par les politiciens allemands (cf. les « Deutscher Computerspielpreis ») – y compris les First-Person Shooters. Même le Ministre Fédéral de la Famille, des Personnes Âgées, des Femmes et de la Jeunesse s’est opposé à une interdiction. Il reste une énigme : pourquoi De Maizière les a mentionnés ? Par conséquent, je ne pense pas que le débat soit relancé, en tout cas pas encore. Il s’agit juste de la couverture médiatique d’une déclaration du Ministre de l’Intérieur – accompagné d’une poignée de déclarations bizarres allant dans son sens.

Bref, pour le moment, les joueurs allemands que j’ai consultés ne s’inquiètent pas trop pour ce qui n’est à leurs yeux qu’un feu de paille. Ils n’envisagent pas sérieusement de revenir à la situation cauchemardesque de la précédente décennie, celle d’après les tueries d’Erfurt et de Winnenden. En revanche, ils déplorent que leurs adversaires n’aient rien appris depuis cette époque. Selon le blogueur autrichien Jürgen Mayer, « la plupart des commentaires ou « arguments » [proférés contre les « killerspiele »] montrent qu’aucun progrès n’a été fait. Et selon moi, c’est un peu triste. »

Affaire à suivre…

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est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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