On jouait déjà avant ta naissance, donc on a raison

La parole à l’accusation : Malte Lehming contre le « lobby des jeux »

Par • le 12/3/2010 • Entre nous

A l’occasion du premier anniversaire de la tuerie de Winnenden (c’était il y a 1 an et 1 jour), je vous emmène à nouveau en Allemagne, et cette fois nous allons regarder du côté de la presse généraliste. En effet, la dernière fois, la traduction proposée était certes gratinée, mais elle n’avait pas réellement de poids. Son auteure, une universitaire, n’en était qu’à sa première (et – heureusement – seule) contribution au débat sur les « killerspiele ». Contribution qui n’avait été publiée que dans le bulletin officiel d’un festival d’été. Cette fois, toujours secondé de mon fidèle collègue Stefan, je vous propose un article paru dans un grand quotidien national, le Tagesspiegel, et écrit par un journaliste chevronné, Malte Lehming, qui était auparavant correspondant allemand du Wall Street Journal (auquel le Tagesspiegel est associé).

C’est la deuxième incursion de Lehming dans le débat sur les « killerspiele ». L’an dernier, au lendemain de la tuerie de Winnenden, il avait déjà éditorialisé sur ces jeux et leur effet sur l’agressivité des individus qui les pratiquent. Et il avait conclu : « Qu’est-ce qui plaide en faveur de ses jeux, excepté le ‘kick’, le trip qu’ils procurent ? Rien, absolument rien. Les jeunes n’ont pas le droit de choisir s’ils peuvent fumer un joint ou pas, boire de la vodka ou pas, mais ils ont le droit d’apprendre comment exécuter des personnes sans défense sur ordinateur ? Ca ne devrait pas être possible, ça ne doit plus être possible ! »

Seulement voilà, les choses ne se sont pas passées comme prévu : outre que les « killerspiele » n’ont toujours pas été totalement interdits, il s’est trouvé des gens pour refuser cette interdiction. Plus de 70 000 d’entre eux ont d’ailleurs signé une pétition dans ce sens, qu’ils ont envoyée au Bundestag. Mettez-vous un peu à la place de Herr Lehming : il lui était déjà intolérable que ces jeux existent, mais en plus, il y a des gens qui ne pensent pas comme lui, qui ne partagent pas son indignation, et qui au contraire se mettent à les défendre ! Trop, c’était trop, alors pour son deuxième éditorial, Lehming a décidé de frapper fort, très fort, afin qu’on comprenne bien qu’il ne peut pas y avoir d’autres idées justes que les siennes. La dernière fois, il nous avait livré son opinion à sec : cette fois, il va rajouter du gravier en la personne de Gisela Mayer (mère d’une des victimes de la tuerie de Winnenden, qui vient de sortir un livre sur cette tragédie et ses conséquences).

A présent, la parole est à Lehming. Ça va être bref, mais vous allez le sentir passer.

Winnenden et le Lobby des Jeux de tueurs

(Malte Lehming – 10 mars 2010)

Ce jeudi, l’Amoklauf de Winnenden aura un an. Le 11 mars 2009, Tim K., un fondu d’armes à feu de 17 ans, a tué en tout 15 personnes. Tim était aussi un fan de jeux vidéo interactifs violents. Néanmoins, la première réaction après son acte a été : surtout n’interdisez pas ces jeux !

Avec une véhémence rappelant celle des junkies héroïnomanes dont la seringue vient de casser pendant que la dope chauffait sur la bougie, Counterstrike et consorts ont été défendus toujours de la même manière : ce ne sont que des jeux, tout le monde y joue, les interdictions ne servent à rien, un quelconque lien avec une augmentation de la violence n’a jamais été complètement prouvé.

La passion agressive de la communauté des Killerspiele n’est pas surprenante. En effet, cette communauté est grande, bien organisée et en tant que lobby, presque aussi puissante que l’industrie pharmaceutique, l’industrie de l’automobile ou ce qu’on appelle le complexe militaro-industriel. Depuis le succès du « Piratenpartei » et la campagne réussie contre l’initiative de « Zensursula » Von Der Leyen destinée à bloquer les sites pédophiles, le constat est clair : la politique a capitulé devant la force de ce lobbying. Aucune alternance politique ou intellectuelle ne pourra y changer quoi que ce soit.

Nous n’allons donc ni nous lamenter, ni polémiquer, mais seulement écouter la mère d’une des victimes, à l’occasion de cet anniversaire. L’institutrice stagiaire Nina Mayer avait 24 ans quand Tim K. l’a tuée. Sa mère, Gisela Mayer, s’engage depuis lors dans l’association Aktionsbündnis Winnenden. Cette maître de conférences de 52 ans, qui enseigne l’éthique, a écrit un livre sur la période consécutive à l’attentat. Il est intitulé : Die Kälte darf nicht siegen (« La froideur de doit pas gagner », éditions Ullstein). Elle écrit : « Ma fille a été touchée par 5 balles. Il a continué à tirer sur elle longtemps après qu’elle soit tombée. »

Gisela Mayer parle également du sujet des Killerspiele. Christoph Gurk a recueilli ses propos sur la question pour le « Tageszeitung » (2 mars 2010) : « Les discussions sur les Killerspiele se raréfient, ce qui est pour moi une déception. J’étais bien consciente du fait que les promesses des premiers jours n’allaient pas être tenues telles quelles. Toutefois, il est extrêmement choquant que l’on abandonne le sujet aussi vite et que l’on retourne à une attitude d’autosatisfaction. Ceci est plus blessant qu’autre chose, parce qu’on ne peut pas comprendre cette autosatisfaction (…)

Nous sommes extrêmement prudents quand il s’agit de nos enfants. Nous faisons attention à la nicotine et aux autres produits toxiques , les jouets ont des coins arrondis et on trouve des normes de protection de la jeunesse partout. Et malgré tout, nous sommes d’accord pour que nos enfants passent des heures à apprendre comment tuer d’autres personnes, et puis nous nous disons que cela ne les affectera pas, que cela ne va pas les inquiéter ! C’est d’une indifférence et d’une naïveté sans limites. Il faut protéger la jeunesse contre une chose pareille, et ça ne peut pas être simplement en collant des petits macarons sur des emballages et en disant : « Interdit aux mineurs de moins de 18 ans ». Mais apparemment, une force économique soutient cette situation. (…) »

On ne saurait mieux dire. Quant à ceux qui veulent encore protester contre Gisela Mayer, qu’ils laissent tomber et qu’ils se taisent !

Remarques additionnelles (Shane_Fenton)

Un mot à propos du « Piratenpartei » et de « Zensursula » Von Der Leyen pour ceux qui n’ont pas suivi l’affaire. Le « parti pirate » est comme son nom l’indique un véritable parti politique, inspiré d’une initiative suédoise, dont le cheval de bataille est la préservation des libertés sur Internet. Un de leurs coups d’éclat a été la bataille contre « l’Internetsperren », un dispositif de blocage de sites (en principe) pédophiles, mais basé sur une « liste noire » complètement opaque, et maintenu par une organisation qui ne l’est pas moins. Ce dispositif était défendu par Ursula Von de Leyen, à l’époque Ministre de la Famille (qui est finalement devenue Ministre du Travail), ce qui lui a valu le sobriquet de « Zensursula », « zensur » signifiant « censure ». J’en ai parlé sur CanardPC, tout comme j’ai parlé de l’Aktionsbündnis Winnenden et de leur initiative « anti-killerspiel ».

Quant à la contribution de Herr Lehming, qui a laissé notre ami Matthias Dittmayer sans voix, inutile de la commenter davantage, si ce n’est pour rappeler qu’elle fait partie d’une tendance en vogue en ce moment chez les médias généralistes et les opposants aux « killerspiele », qui consiste, après avoir satanisé ces jeux, à s’en prendre au « lobby » que constituent ceux qui y jouent. Et ce n’est pas l’attitude agressive de certains d’entre eux (insultes, lettres de menaces…) qui risque de changer la donne.

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est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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8 commentaires »

  1. Soyons cohérents deux secondes: pour avoir un commentaire pertinent, intelligent et argumenté, on ne demande pas son avis à un Lehming. Oh noes.

  2. « L’institutrice stagiaire Nina Mayer avait 24 ans quand Tim K. l’a tuée. »

    D’un autre coté, elle avait tué la femme de Jack Bauer, ça n’était pas très gentil.

  3. @Kwyxz : quand j’ai vu son nom, j’ai immédiatement pensé à la même chose, mais je me suis abstenu.

    Au passage, l’ami Stefan vient de me dire que l’expression « avoir un balai dans le cul » n’a pas d’équivalent littéral en allemand, mais qu’on peut quand même la traduire par le terme verklemmt (« coincé », « refoulé »).

  4. En même temps interdire les jeux en ligne au moins de 18 ans pourrait rendre bien des jeux k3v1n-free et c’est pas moi qui m’en plaindrai(s)(t).

  5. Sauf que là, on parle d’interdiction totale, à tout le monde. La plupart de ceux qui réclament un « killerspielverbot » sont très clairs sur ce point (même s’il y a des exceptions, comme Günther Huber). Et certains vont jusqu’à proposer une prohibition internationale de ces jeux, histoire de ne pas avoir que leurs compatriotes à emmerder.

  6. Qu’est ce qu’il est douer ce gars quand même, quand ses paroles ont été démontés et n’en ont révélés aucun sens, il a décidé de prendre certainement le mur le plus solide pour tout écraser: La victime.

    Il est vrai que la personne lambda va flancher entre le joueur nerd qui suit un lobby et qui est agressif, ou la mère de famille qui a vu sa fille se faire massacrer froidement et qui ne voit pas l’ENORME objet qui a CONDITIONNER le meurtrier de sa fille interdit? N’avez vous donc pas honte, joueur monstrueux que vous êtes?

    Le salop, c’est comme si je voyais un minable voulant a tout prix que la religion soit détruite et qu’il évoquerait la confession d’un enfant violé par un prêtre pour rendre sa partition inattaquable. Sauf qu’ici, le prêtre a vraiment violé l’enfant, ici, et on en a déja parlé dans tes articles, le jeu vidéo ne peut avoir conditionné l’enfant. Il peut l’avoir mis dans une logique de stress, et encore, cela dépend du jeu et justement que ce jeu ait ce que tu avais appelé le syndrome du couloir, tu dois aller tout droit pour survivre, une personne est devant toi, tu es obligé de la tuer.

    C’est juste monstrueux d’inhumanité a mon sens.

  7. « Quant à ceux qui veulent encore protester (…), qu’ils laissent tomber et qu’ils se taisent ! »

    :’)

    La prochaine fois que je débattrai, je me rappellerai de cette formule si élégante (et si pouissante en terme d’argumentation) !

  8. « Et malgré tout, nous sommes d’accord pour que nos enfants passent des heures à apprendre comment tuer d’autres personnes, et puis nous nous disons que cela ne les affectera pas, que cela ne va pas les inquiéter !  »

    Heu… non, on est pas d’accord.
    De la même façon que je suis pas d’accord pour que mon gosse de huit ans mate des pornos en buvant de la bière, je suis pas d’accord pour qu’il joue à GTA.

    C’est dingue ça, le discours tenu dans cet article est totalement déresponsabilisant. « Si nos enfant ont de la merde dans le cerveau c’est la faute à cette société vraiment trop méchante ».
    Mais connard, ton rôle de parent c’est pas justement de protéger ton gosse, et même mieux, de lui apprendre à se protéger tout en restant digne dans sa vie d’adulte?
    La vie est trop dure, mec. Interdisons la vie.
    Bande de bouffonne.

    Moi c’est quand je vois des têtes de cons comme ça que j’ai envie de prendre un fusil pour faire sauter quelques cervelles.
    Interdisons les têtes de con.

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